
Je suis revenu, grand frère. Je suis revenu de mon long voyage à l’autre bout du monde pour te pleurer. Je me trouvais en transit quelque part au pays des Blancs lorsque la nouvelle me parvint que tes ancêtres t’avaient appelé auprès d’eux.
J’ai ravalé mes larmes et ai attendu d’être de nouveau sous nos cieux, près de toi, pour les laisser couler. Que puis-je faire d’autre, grand frère, toi qui m’as fait, toi qui m’as élu comme ton petit frère ?Je me souviendrai toujours de ce voyage entre Yamoussoukro et Abidjan.
Nous revenions des obsèques du président Houphouët-Boigny. Tu venais d’être nommé Directeur Général de Fraternité Matin et tu avais voulu que moi, simple chef de service à Ivoir’Soir, je fasse ce voyage dans ta voiture. Nous avons discuté jusqu’à Abidjan.
De tout, mais surtout de la politique ivoirienne. Le lendemain de notre arrivée, un passager de ta voiture, aujourd’hui décédé, est venu me dire que tu avais beaucoup apprécié notre conversation, et que tu me réservais une bonne surprise.
Et quelques jours plus tard elle est venue. Tu avais fait de moi le rédacteur en chef d’Ivoir’Soir. Mais le plus important ne fut pas cette nomination. Elle vint plus tard avec le temps. Tu fis de moi, ton petit frère.
Tu me fis entrer dans ton intimité, dans ta famille. Je fus de tous tes voyages, à l’intérieur du pays, parfois à l’extérieur. Je fus même de tes voyages privés.
Lorsque le président Bédié te choisit en 1995 pour diriger sa campagne dans le Moronou, tu me mis dans ton équipe. Tu m’ouvris les portes de ta maison dans ton petit village de Tanokoffikro, et je promis de construire aussi un jour dans mon village une maison sur le modèle de la tienne.
Je le ferai, grand frère. Je suis en voie de la réaliser. Et c’est là-bas que j’irai passer mes derniers jours, si celui qui décide de nos destins m’en laisse le temps. Lorsque mon frère Gabriel mourut, tu fis le voyage jusqu’à Angamankro près de Mbatto.
Lorsque tu te rendis à Daoukro, tu allas saluer ma mère et tu vins chez moi me présenter tes condoléances lorsqu’elle mourut l’année dernière. Grand frère ! Nos vies ont suivi leurs cours.
Il y eut ce coup d’Etat de Noël 1999. Ton exil. Il y eut ton retour. En 2011 je fus nommé à mon tout Directeur Général de Fraternité Matin. Tu organisas chez toi une grande fête en mon honneur, pour me témoigner ta fierté de grand frère.
C’est chez toi que je fis ma première sortie de DG, pour parrainer une activité politique : un hommage au président de la république qui venait fraichement d’être investi.
Au lieu de distribuer de l’argent lorsque l’on annonça les dons du parrain, j’offris des posters du président Ouattara et une édition spéciale de Fraternité Matin que nous lui avions consacrée. L’histoire te fit beaucoup rire, grand frère.
« Tu es un artiste. C’est pour cela que je t’ai choisi pour cette activité » me dis-tu plus tard. Mais je crois que l’histoire a moyennement fait sourire les organisateurs de la manifestation. C’est chez toi que je logeais chaque fois que j’allais dans ta région, grand frère.
Je fus à tes côtés lorsque tu fus intronisé chef de ton village. Tu me donnas la parole et je pus témoigner devant ton peuple de tout ce que je te devais. Grand frère.
C’est ainsi que je t’ai toujours appelé. Tu m’as toujours encouragé, conseillé, félicité lorsque l’un de mes papiers t’avait particulièrement frappé. Nous devînmes collègues au Conseil économique, social, environnemental et culturel (CESEC).
Et c’est là-bas que je te vis pour la dernière fois.O cruelle mort ! Comment pouvais-je imaginer que je te voyais pour la dernière fois ? Rien n’indiquait que tu portais un mal quelconque qui allait t’emporter.
Un poète a dit : « ne demande pas pour qui sonne le glas, il sonne pour toi. » Le glas a sonné pour toi. Avant toi il sonna à Fraternité Matin, il y a à peine un mois, pour Rosine Diodan et Didier Koffi.
Ton départ nous enseigne simplement que nous devons nous aussi nous préparer à tout moment à faire le grand voyage. Mettons de l’ordre dans nos vies pour pouvoir dire comme Leonard Cohen, lorsque le moment viendra « Hineni, hineni,I’m ready, my lord. »
Venance Konan