
Inkinane Ag Attaher, commandant influent du Front de libération de l’Azawad (FLA), a été arrêté la semaine dernière dans le sud du Niger par les services de sécurité nigériens. L’information, confirmée lundi par des sources locales et sécuritaires, intervient dans un climat de fortes tensions au Sahel, marqué par une recrudescence des violences séparatistes et jihadistes, ainsi que par de profonds bouleversements diplomatiques.
Une arrestation hautement symbolique
Selon une source sécuritaire à Niamey, l’arrestation d’Ag Attaher a eu lieu entre la région de Dosso et la ville de Birnin Konni, à proximité de la frontière avec le Nigeria. Le commandant du FLA était en possession de deux passeports — l’un malien, l’autre nigérien — ce qui a renforcé les soupçons des autorités quant à ses activités transfrontalières.
« Pour nous, c’est un terroriste. Il s’agit d’un homme qui a activement contribué à la déstabilisation de la région », a déclaré un responsable nigérien sous couvert d’anonymat.
Un acteur majeur de l’insurrection touarègue
Ag Attaher, ancien officier de l’armée malienne, a déserté les rangs officiels en 2012 pour rejoindre le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA). Figure de proue de la lutte indépendantiste, il a par la suite joué un rôle central dans la formation du FLA en novembre 2024, une coalition qui regroupe plusieurs factions touarègues opposées à l’autorité de Bamako.
Le FLA revendique la souveraineté de l’Azawad, vaste territoire du nord du Mali historiquement disputé et théâtre de plusieurs insurrections depuis les années 1990. Dans un communiqué publié fin 2024, le groupe avait désigné Ag Attaher comme « commandant en chef de l’armée de l’Azawad », chargé notamment de la formation et de la coordination des unités combattantes.
Extradition imminente vers le Mali ?
Une source malienne indique que Bamako pourrait prochainement formuler une demande officielle d’extradition. « Il s’agit d’un fugitif, activement recherché pour des actes portant atteinte à l’intégrité territoriale du Mali. Sa capture est une opportunité pour la justice », a-t-elle affirmé.
Le Niger, désormais allié stratégique du Mali au sein de l’Alliance des États du Sahel (AES), pourrait répondre favorablement à cette requête. La confédération créée en 2023 avec le Burkina Faso vise à renforcer la coopération militaire entre les trois pays gouvernés par des juntes, tout en s’émancipant des institutions régionales comme la CEDEAO.
Un réseau aux ramifications internationales
Selon plusieurs analystes sécuritaires, Inkinane Ag Attaher jouait également un rôle-clé dans les relations internationales du FLA. Il aurait, selon des sources concordantes, établi des contacts discrets avec des réseaux européens et ukrainiens, notamment dans le cadre d’échanges d’informations sensibles sur les mouvements militaires dans la zone sahélienne.
En août 2024, la rupture des relations diplomatiques entre le Mali, le Niger et l’Ukraine avait jeté une lumière crue sur ces connexions. Un haut responsable du renseignement militaire ukrainien avait insinué que Kiev avait fourni des données aux rebelles lors de l’attaque de Tinzaouatène, une opération qui s’était soldée par de lourdes pertes pour les forces maliennes et leurs alliés du groupe paramilitaire russe Wagner.
Un contexte sécuritaire instable
La situation dans le nord du Mali reste extrêmement volatile. Depuis le retrait de la mission onusienne MINUSMA en 2023, les groupes armés ont profité du vide sécuritaire pour relancer leurs offensives. Malgré une reconquête de Kidal par l’armée malienne à la fin de 2023 — un succès présenté comme stratégique par Bamako — plusieurs localités restent disputées, notamment dans les régions de Ménaka, Tessalit et Taoudéni.
« Le FLA a perdu des bastions, mais il conserve une capacité de nuisance élevée, notamment à travers des frappes ciblées et des embuscades », souligne Boubacar Maïga, chercheur au Centre d’études sur le Sahel.
L’influence croissante de Wagner et de la Russie
Face à la montée des périls sécuritaires, les États du Sahel ont renforcé leur coopération avec Moscou. Le groupe Wagner, déjà bien implanté au Mali, a vu son rôle s’étendre au Niger et au Burkina Faso. Une récente rencontre à Moscou entre les chefs de la diplomatie sahélienne et le ministre russe des Affaires étrangères a abouti à des engagements accrus en matière d’armement, de formation et de renseignement.
Le Kremlin a promis « un appui militaire total » à l’AES, y compris la livraison de drones de surveillance et d’équipements lourds. Une annonce qui suscite l’inquiétude des chancelleries occidentales, déjà marginalisées dans la région.
Vers un nouveau cycle de violences ?
L’arrestation d’Inkinane Ag Attaher pourrait provoquer des représailles de la part du FLA. Plusieurs observateurs redoutent une reprise des hostilités dans les semaines à venir, en particulier dans les zones frontalières. Des renforts militaires ont été envoyés à Aguelhok et à Gao, où des mouvements suspects ont été signalés.
« Il ne faut pas sous-estimer la portée symbolique de cette arrestation. Elle pourrait exacerber les tensions communautaires, notamment entre les populations arabes, touarègues et songhaïes », alerte une source humanitaire à Tombouctou.
La réponse de la communauté internationale
Pour l’heure, la réaction des partenaires internationaux reste mesurée. L’Union africaine a appelé à la retenue et au respect du droit international, tandis que la France a réitéré son soutien à « l’intégrité territoriale du Mali ». Les Nations unies, désormais absentes du terrain malien, continuent de suivre la situation à distance.
Le Haut-Commissariat aux droits de l’Homme a toutefois appelé à garantir les droits d’Inkinane Ag Attaher dans le cadre de toute procédure judiciaire à venir.
Un tournant décisif ?
Alors que le Sahel traverse l’une des périodes les plus incertaines de son histoire récente, l’arrestation d’un chef rebelle aussi emblématique que Inkinane Ag Attaher marque un tournant. Symbole d’une rébellion persistante mais fragmentée, il incarne aussi les frustrations d’une partie de la jeunesse touarègue, en quête de reconnaissance et d’autonomie.
Entre aspirations identitaires, luttes d’influence régionales et guerres d’intérêts, l’avenir du Sahel reste suspendu à un équilibre fragile — que chaque arrestation, chaque combat ou chaque alliance vient un peu plus ébranler.
Iman chroniqueur
Babacar DIOP