
Un rapport inédit, fruit de la collaboration entre historiens camerounais et français, a été remis au président camerounais Paul Biya. Ce document de plus de 1000 pages lève le voile sur la répression coloniale française au Cameroun, une période longtemps restée dans l’ombre et marquée par une violence extrême.
Les auteurs du rapport confirment ce que de nombreux chercheurs et témoins avaient déjà évoqué : entre les années 1950 et 1970, la France a mené une véritable guerre de décolonisation contre les mouvements indépendantistes camerounais, notamment l’Union des populations du Cameroun (UPC). Ils décrivent cette période comme une « guerre totale », qui ne se limitait pas aux affrontements militaires, mais engendrait une répression multiforme.
Derrière le vernis des discours officiels se cachent des exécutions ciblées, des emprisonnements arbitraires, des déplacements massifs de populations, ainsi qu’une censure politique. La diplomatie française a également été mobilisée pour museler les indépendantistes sur la scène internationale.
Karine Ramondy, historienne et cheffe de projet du rapport, souligne l’ampleur des violences illégales orchestrées par les autorités coloniales : « Nous avons documenté la mise en place au Cameroun d’une justice racialisée et inégalitaire. » Ce constat révèle une machine répressive redoutable, où tribunaux d’exception, torture et assassinats politiques étaient le quotidien des militants indépendantistes.
Un exemple emblématique est le massacre d’Ekité, survenu dans la nuit du 30 au 31 décembre 1956, où les forces françaises ont attaqué une réunion de l’UPC, laissant derrière elles un carnage. Officiellement, cet événement était présenté comme un simple accrochage avec des rebelles, mais les archives et témoignages racontent une toute autre histoire, mettant en lumière un massacre dissimulé sous un vernis de légalité.
Après l’indépendance en 1960, le silence s’est également imposé au Cameroun. Le premier président, Ahmadou Ahidjo, a choisi de taire cette histoire pour asseoir son pouvoir. L’indépendance a ainsi été présentée comme obtenue dans une atmosphère pacifique, sans heurts ni répression, reléguant les résistants de l’UPC aux marges du récit national.
Le rapport révèle que la violence ne s’est pas arrêtée en 1960. L’armée française a continué à jouer un rôle clé dans la répression des opposants au régime d’Ahidjo. Les mois de novembre et décembre 1960 ont été particulièrement meurtriers : Félix Moumié, leader de l’UPC, a été empoisonné à Genève par un agent des services secrets français, tandis que Paul Momo et Jérémie Ndélélé ont été exécutés dans des opérations de « pacification ».
En tout, cinq figures majeures du mouvement indépendantiste ont été victimes de cette répression méthodique.
Bien que ce rapport constitue une avancée dans la quête de vérité, plusieurs zones d’ombre demeurent. Les chercheurs n’ont pas eu accès aux archives camerounaises postérieures à 1964, ce qui complique la reconstitution complète des faits. En revanche, 2 300 documents classifiés ont été déclassifiés côté français.
La publication de ce rapport soulève désormais une question cruciale : la France reconnaîtra-t-elle officiellement sa responsabilité dans ces événements ? Les recommandations formulées, incluant l’inscription dans les programmes scolaires, la création de lieux de mémoire et la reconnaissance des crimes, seront-elles suivies d’effets ?
Alors que d’autres nations ont amorcé un travail de mémoire sur leur passé colonial, il est évident que le Cameroun et la France sont désormais prêts à briser le silence sur leur histoire commune.