Une révolution silencieuse vient de s’amorcer au Cameroun dans le secteur stratégique des matériaux de construction. Avec l’inauguration de la première usine de clinker du pays, la filière ciment entre dans une nouvelle ère, marquée par une volonté de réduire sa dépendance aux importations et d’ancrer davantage l’industrialisation sur le territoire national

L’événement s’est déroulé en présence de plusieurs membres du gouvernement camerounais, de dirigeants du groupe Cimencam (Cimenteries du Cameroun) et de partenaires industriels et financiers. L’usine flambant neuve, implantée dans la zone industrielle de Figuil (Nord), est le fruit d’un investissement majeur porté par Cimencam, filiale du géant suisse LafargeHolcim, en partenariat avec l’État camerounais.
Avec une capacité de 1000 tonnes de clinker produites chaque jour, cette unité représente une avancée majeure pour le Cameroun, qui importait jusqu’alors l’intégralité de ce composant essentiel à la fabrication du ciment. Ce basculement de la dépendance à la production locale pourrait réduire les coûts logistiques, stabiliser les prix sur le marché intérieur et renforcer la compétitivité des entreprises du secteur BTP.
La production de clinker, jusque-là concentrée dans des pays comme le Togo, l’Égypte ou la Turquie, constitue le maillon le plus capital mais aussi le plus énergivore de la chaîne de fabrication du ciment. En intégrant ce maillon au Cameroun, le pays affirme une volonté de remonter la chaîne de valeur, de développer ses compétences techniques et de créer des emplois durables.
« C’est une étape décisive pour notre stratégie d’industrialisation. Nous ne devons plus être seulement des consommateurs de produits finis, mais des producteurs des composants-clés », a déclaré un haut responsable du ministère des Mines, de l’Industrie et du Développement technologique, présent lors de la cérémonie.
Ce projet s’inscrit dans le cadre plus large du Plan directeur d’industrialisation du Cameroun, visant à transformer les secteurs à fort potentiel ciment, agro-industrie, énergie en piliers de croissance économique autonome.
La demande en ciment ne cesse de croître dans un pays engagé dans des programmes d’infrastructures massifs : routes, ponts, logements sociaux, barrages… Mais ce dynamisme a souvent été freiné par une dépendance chronique aux importations de clinker, exposant le pays aux variations du dollar, aux ruptures d’approvisionnement et à des coûts de production élevés.
Le Cameroun produit actuellement environ 4 millions de tonnes de ciment par an, mais avec un marché de plus en plus concurrentiel Cimaf (Maroc), Dangote Cement (Nigeria), Medcem (Turquie) les marges sont étroites, et les pressions sur les ressources locales (calcaire, argile, énergie) sont de plus en plus fortes.
L’usine de clinker devra donc répondre à un double défi : gagner en efficacité industrielle tout en réduisant son empreinte environnementale, dans un contexte où les cimenteries sont régulièrement pointées du doigt pour leurs émissions de CO₂ et leur consommation énergétique élevée.
Au-delà du marché camerounais, cette usine pourrait permettre à Cimencam de se positionner comme exportateur de clinker dans la sous-région, notamment vers le Tchad, la République centrafricaine ou la Guinée équatoriale. Le port en eau profonde de Kribi, désormais bien connecté aux zones industrielles de l’intérieur, offre une opportunité logistique stratégique pour rayonner à l’échelle du Golfe de Guinée.
Un responsable de LafargeHolcim a d’ailleurs évoqué la possibilité de transformer le Cameroun en hub de production cimentière pour l’Afrique centrale, à condition que les incitations fiscales, la disponibilité énergétique et la stabilité réglementaire soient au rendez-vous.
L’inauguration de cette usine de clinker n’est pas qu’un simple événement industriel. Elle incarne une volonté politique, économique et stratégique de maîtriser un maillon essentiel de la chaîne de valeur du bâtiment. Si elle tient ses promesses, elle pourrait contribuer à consolider l’autonomie industrielle du Cameroun et à faire du pays un acteur régional plus affirmé dans le secteur des matériaux de construction.