Crise halieutique au Sénégal : quand la mer ne nourrit plus, elle pousse à fuir

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Crise halieutique au Sénégal : quand la mer ne nourrit plus, elle pousse à fuir

Le Sénégal est aujourd’hui confronté à une double tragédie : l’effondrement de la pêche artisanale et l’exode croissant de jeunes vers l’Europe par la mer. Un récent rapport de l’Environmental Justice Foundation (EJF), publié le 13 mai 2025, dresse un tableau alarmant de la situation, mettant en lumière l’impact destructeur de la surexploitation des ressources marines sénégalaises sur les communautés côtières.

Selon ce rapport, la pêche illégale, non déclarée et non réglementée, ainsi que l’exploitation industrielle massive — souvent sous couvert d’accords opaques avec des flottes étrangères, notamment européennes et chinoises — exercent une pression insoutenable sur les stocks de poissons. Cette pression a provoqué l’effondrement progressif de la pêche artisanale, autrefois pilier de l’économie locale et principal moyen de subsistance pour des milliers de familles sénégalaises.

Les conséquences humaines sont dramatiques. Face à l’impossibilité de vivre de leur métier, de plus en plus de jeunes Sénégalais prennent la mer, souvent à bord d’embarcations de fortune, dans l’espoir d’atteindre les îles Canaries, porte d’entrée vers l’Europe. Cette route maritime, qualifiée de l’une des plus dangereuses au monde, s’est transformée en véritable cimetière marin : plus de 3 000 personnes y ont perdu la vie rien qu’en 2023, un chiffre en constante augmentation.

Le témoignage poignant d’Abdoulaye Sady, ancien pêcheur reconverti en migrant, illustre cruellement la détresse qui pousse ces hommes à tout risquer. Il raconte : « Le neuvième ou le dixième jour, certains pêcheurs ont commencé à s’inquiéter […] Certains sont morts. » Des récits similaires parsèment les côtes sénégalaises, marquées par la douleur des familles endeuillées et le silence pesant laissé par les disparus.

Le documentaire réalisé par l’EJF en accompagnement du rapport donne également la parole à ceux restés au pays. Modou Boye Seck, habitant de la commune de Fass Boye, confie avoir perdu plusieurs proches dans ces traversées tragiques. Comme beaucoup, il exprime un sentiment d’abandon, nourri par l’inaction perçue des autorités face à une crise qui mine peu à peu l’âme des villages côtiers.

Face à cette situation, l’EJF appelle à une réforme urgente et en profondeur de la gouvernance maritime au Sénégal. L’organisation préconise une plus grande transparence dans les accords de pêche, un renforcement des contrôles sur les activités industrielles en mer et un soutien concret aux pêcheurs artisanaux, qui doivent retrouver leur rôle central dans l’économie bleue sénégalaise.

Alors que les filets reviennent de plus en plus souvent vides, c’est tout un mode de vie qui s’éteint lentement. Si rien n’est fait, les pirogues continueront de se transformer en radeaux du désespoir, et l’océan, naguère source de vie, restera pour beaucoup le chemin sans retour vers une illusion d’avenir.

Imam chroniqueur Babacar Diop

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