
La fermeture des écoles pendant le mois sacré du Ramadan dans le Nord du Nigeria suscite une vive polémique à la fois parmi les autorités locales et les acteurs de la société civile. Les gouverneurs des États de Kano, Katsina, Bauchi et Kebbi ont ordonné la fermeture des écoles primaires et secondaires à partir du 28 février, une mesure censée offrir aux étudiants, principalement musulmans, la possibilité de passer le Ramadan en famille, tout en se concentrant sur la prière et la réflexion religieuse.
Cependant, cette décision a rapidement pris une tournure controversée, soulevant des interrogations sur les effets qu’elle aura sur le système éducatif de ces régions, déjà confrontées à des défis en matière d’accès et de qualité de l’éducation. En raison de la durée de cette fermeture, les élèves risquent de perdre plusieurs semaines d’apprentissage, ce qui pourrait aggraver la crise éducative qui touche déjà une grande partie du pays.
Perturbation du calendrier scolaire et ses conséquences
Le mois de Ramadan, qui dure environ 29 à 30 jours, se traduit par une fermeture scolaire d’au moins un mois. Cette décision intervient après une série de perturbations scolaires précédentes dues à des grèves et des conflits régionaux. Des parents d’élèves expriment des inquiétudes croissantes concernant l’impact de cette interruption sur la préparation de leurs enfants aux examens nationaux et internationaux. En particulier dans les régions du Nord, où les taux d’analphabétisme sont déjà élevés, cette décision pourrait compliquer la situation en rendant encore plus difficile le rattrapage de cours essentiels.
Certains enseignants et experts en éducation ont souligné que cette fermeture pourrait exacerber les inégalités scolaires existantes, car les écoles privées et les institutions religieuses, qui continuent leurs activités pendant cette période, bénéficient généralement de ressources supplémentaires pour maintenir l’apprentissage. Les élèves des écoles publiques, quant à eux, risquent d’être laissés pour compte, renforçant ainsi les écarts de réussite scolaire.
Réactions des associations étudiantes et religieuses
La réaction de l’Association nationale des étudiants nigérians (NANS) a été particulièrement acerbe. Selon son président, cette mesure constitue une perturbation majeure du programme scolaire et prive les étudiants de la possibilité d’acquérir les compétences nécessaires dans un monde de plus en plus compétitif. La NANS a publié une déclaration dans laquelle elle demande aux autorités fédérales d’intervenir pour éviter des décisions unilatérales qui nuisent à l’éducation des jeunes.
D’autre part, l’Association chrétienne du Nigeria (CAN) a exprimé son désarroi face à cette fermeture des écoles, arguant qu’elle ne respectait pas les principes de pluralisme religieux qui devraient régir la gestion des affaires publiques dans un pays aussi diversement religieux. Les leaders chrétiens ont rappelé que les élèves non-musulmans se trouvent également affectés par cette décision, ce qui met en lumière un autre défi : la gestion de la diversité religieuse dans les écoles publiques.
Appels à des solutions alternatives
Face à ces critiques, les gouverneurs concernés ont défendu leur décision en soulignant qu’elle visait à offrir un environnement propice au respect des obligations religieuses pendant le mois sacré. Ils ont également assuré que les autorités mettraient en place des mécanismes pour rattraper les cours manqués.
Cependant, des voix s’élèvent pour suggérer des alternatives moins perturbatrices, telles que l’adaptation des horaires scolaires pour permettre aux étudiants de concilier leurs études avec les exigences religieuses du Ramadan. Certaines propositions incluent l’introduction d’une forme d’enseignement à distance ou l’allongement des journées scolaires avant ou après le Ramadan afin de compenser la fermeture temporaire.
Les leaders communautaires, notamment dans les zones rurales, plaident également pour une solution de compromis, permettant aux élèves de suivre un programme scolaire allégé pendant le Ramadan, en particulier dans les écoles primaires, afin de garantir qu’ils ne soient pas laissés pour compte dans le système éducatif.
Le dilemme de la gestion de la diversité religieuse
La fermeture des écoles pendant le Ramadan met également en lumière un dilemme de taille pour le Nigeria : comment concilier la pratique religieuse avec les impératifs de l’éducation dans un pays aussi vaste et culturellement diversifié ? La question de savoir si cette mesure pourrait constituer une forme de discrimination religieuse ou une atteinte à l’équité dans l’accès à l’éducation soulève des débats intenses.
De nombreux analystes estiment que la gestion de cette question demande une plus grande concertation entre les différentes communautés religieuses et les autorités locales. Il est essentiel de promouvoir un environnement scolaire inclusif et respectueux des diverses croyances, tout en garantissant que les politiques publiques ne nuisent pas aux droits des élèves non-musulmans et aux besoins éducatifs des enfants de tous horizons.
Vers une solution concertée ?
Alors que les tensions continuent de monter, plusieurs experts éducatifs appellent à un dialogue plus approfondi entre les acteurs politiques, les communautés religieuses et les enseignants. Le pays ne peut pas se permettre de sacrifier l’éducation de ses jeunes au profit de décisions prises de manière unilatérale, avertissent-ils.
Il est donc impératif que des solutions soient trouvées pour respecter les pratiques religieuses tout en préservant l’intégrité du système éducatif nigérian. Si la situation ne trouve pas de résolution pacifique, elle pourrait constituer un précédent dangereux pour d’autres régions du pays, voire pour d’autres pays à majorité musulmane confrontés à des dilemmes similaires.
Les prochains jours seront cruciaux pour déterminer si un compromis peut être trouvé, ou si cette crise s’envenimera davantage, affectant le tissu social et éducatif du pays.
Imam chroniqueur Babacar DIOP