
Sous un soleil de plomb, au cœur du vacarme de la ville, un autre monde s’active dans l’ombre : celui des ferrailleurs. Ils arpentent les rues, poussent leurs brouettes, fouillent les décharges et dépôts en quête de morceaux de ferraille, vestiges de notre société de consommation. Pour la plupart, cette activité n’est pas un choix, mais une nécessité. Dans ce métier rude, chaque kilo de métal devient une promesse de survie.
Le fer comme gagne-pain
À la Zone de Captage, vaste terrain où cohabitent ferrailleurs, mécaniciens et manœuvres, les hommes s’organisent pour tirer leur subsistance de ce que d’autres rejettent. Ici, une vieille carcasse de voiture, un frigidaire hors service, un ventilateur rouillé ou des fers à béton deviennent monnaie d’échange. Gana Sène, originaire de Diourbel, fait ce métier depuis plus de dix ans. Installé devant sa modeste baraque, entouré de ferrailles entassées en vrac, il guette les revendeurs, entre deux vers du poète Cheikh Ahmadou Bamba, son compagnon spirituel dans la solitude.
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« Je vis seul à Dakar. Ma femme et mes quatre enfants sont restés au village. Les temps sont devenus très durs », confie-t-il. Ses habits usés, ses mains marquées par le travail illustrent bien l’austérité de son quotidien. « On travaille dans des conditions dangereuses. Le tétanos est un risque constant, mais on attend de tomber malade avant de se faire soigner », ajoute-t-il avec amertume.
Un métier à haut risque, faible revenu
Non loin de lui, d’autres ferrailleurs finissent leur journée. Leurs vêtements sont noircis, leurs mains calleuses, leurs visages fatigués. Des brouettes pleines sont alignées, prêtes pour la pesée. Serigne Saliou Diouf, originaire de Fatick, pèse les métaux qu’il a collectés. « Le fer est vendu à 100 francs CFA le kilo. C’est trop peu. À ce prix, il est difficile de s’en sortir. On ne fait pratiquement aucun bénéfice », s’indigne-t-il.
Le prix du fer est un sujet brûlant parmi ces travailleurs de l’informel. Une hausse, même légère, améliorerait grandement leur quotidien. Mais pour l’instant, ils doivent se contenter de cette maigre rétribution, dérisoire face à la pénibilité du travail.
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La précarité comme héritage
Alioune Thiaw, 19 ans, est allongé sur un tas de sable, son pied blessé et en sueur. Vêtu d’un pantalon déchiré et d’un t-shirt sale, il se repose. « J’ai commencé il y a un mois. Mon frère est dans la récupération. J’ai quitté l’école et il m’a proposé de venir travailler avec lui », explique-t-il. Chaque jour, il quitte Mermoz au petit matin, espérant remplir sa brouette. Mais aujourd’hui encore, elle reste vide.
Le jeune homme, comme beaucoup d’autres, est entré dans ce métier faute de meilleure option. « C’est très difficile. Mais je n’ai pas trouvé autre chose », murmure-t-il, résigné. Pour lui, comme pour beaucoup, la ferraille est un dernier recours, une alternative à l’oisiveté, voire à la délinquance.
Une urgence sociale
Ces récits dévoilent une réalité sociale souvent ignorée : celle de milliers de Sénégalais qui vivent de la récupération de métaux usagés, dans des conditions sanitaires et économiques déplorables. Ce secteur informel, bien que marginalisé, joue pourtant un rôle essentiel dans la gestion des déchets et l’économie circulaire.
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Le sociologue sénégalais Abdoulaye Khouma, spécialiste de l’économie populaire, souligne que « ces activités de survie, bien qu’informelles, mériteraient un encadrement de l’État, à travers des politiques d’inclusion sociale et d’accès à la protection sanitaire de base. » (Entretien personnel, avril 2024)
Dans un pays où le taux de chômage reste élevé, notamment chez les jeunes, l’univers des ferrailleurs est révélateur des défaillances du tissu économique et social. Il appelle une réponse publique, plus qu’une simple compassion.
Redonner de la dignité
Nombre de ferrailleurs expriment leur besoin d’accompagnement : accès à des équipements de protection, revalorisation du prix du fer, facilitation d’accès à des microcrédits pour se structurer en coopératives. « Nous sommes utiles. On participe à nettoyer la ville. Mais personne ne s’occupe de nous », soupire Gana Sène.
Dans un monde de plus en plus attentif aux enjeux du développement durable, il serait temps que ces acteurs de la “seconde vie” des objets bénéficient d’une reconnaissance à la hauteur de leur contribution.
Par imam chroniqueur Babacar Diop