Les faux gentils : quand la douceur devient un masque de manipulation

Par Imam chroniqueur Babacar Diop
Il existe des visages de bonté qui ne respirent pas toujours la sincérité. Sous le sourire et la complaisance apparente se cache parfois une volonté d’emprise, subtile et calculée. Ce phénomène, que les psychologues appellent le syndrome du “gentil garçon”, illustre l’art de manipuler en douceur, de façon presque imperceptible, au nom d’une gentillesse feinte.
La manipulation sous couvert de bienveillance
La manipulation ne prend pas toujours les traits du conflit ouvert ou de la domination brute. Elle se glisse dans les gestes d’attention, les flatteries, les services rendus avec insistance. Comme le souligne la psychothérapeute américaine Kaytee Gillis dans Choosing Therapy (2023, p. 142) :
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“Le faux gentil dépasse souvent ses limites pour obtenir ce qu’il désire. Il donne pour mieux recevoir, et quand ses efforts ne sont pas récompensés, la frustration se transforme en colère ou en chantage émotionnel.”
Ces “gentils” d’apparence cherchent à être aimés à tout prix, mais derrière leurs attentions se cachent des attentes démesurées. Leur devise tacite semble être : “Je t’aide, donc tu me dois.”
Les signes d’une gentillesse piégée
Les spécialistes en psychologie comportementale s’accordent sur plusieurs signaux d’alerte :
Ils exigent reconnaissance et admiration pour leurs “bons gestes”.
Ils affichent publiquement leur bonté pour en tirer du prestige moral.
Ils supposent qu’être gentil leur donne des droits affectifs ou sexuels.
Ils deviennent passifs-agressifs lorsque leurs efforts ne sont pas remarqués.
Ils tordent parfois la vérité pour plaire ou manipuler la perception qu’on a d’eux.
Le psychologue canadien Jean Garneau, dans Les relations toxiques (Éditions Quebecor, 2018, p. 73), rappelle que :
“Le faux altruisme est une forme raffinée d’égoïsme. Il donne non pas pour aimer, mais pour contrôler.”
Une approche spirituelle de la sincérité
Dans la tradition islamique, la sincérité (ikhlâs) est le cœur de toute relation humaine. Le Coran nous avertit :
“Malheur à ceux qui, lorsqu’ils donnent, calculent et mesurent.”
(Sourate Al-Mutaffifîn, v.1-2)
Cette injonction divine s’applique aussi aux relations sociales : la bonté intéressée perd toute valeur spirituelle. L’imam Ibn al-Qayyim disait dans Madarij as-Salikin (t.2, p. 302) :
“Le cœur de l’hypocrite est une balance : il donne pour peser ce qu’il obtiendra en retour.”
Être vraiment bon, c’est donner sans calcul, aimer sans condition, aider sans escompter un retour d’image ou d’affection.
Quand la douceur devient domination
Les relations affectives ou professionnelles marquées par ce type de “faux gentil” deviennent progressivement épuisantes. Sous couvert d’empathie, ils installent un climat de dette morale. Comme l’explique la psychiatre française Christel Petitcollin dans Les manipulateurs sont parmi nous (Guy Trédaniel, 2015, p. 119) :
“Le manipulateur ne cherche pas votre bonheur, mais votre dépendance.”
Cette dépendance émotionnelle est précisément ce qui rend leurs victimes vulnérables et désorientées.
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Mon regard d’imam chroniqueur chroniqueur
« Dans mon expérience de conseiller conjugal et de guide spirituel, j’ai souvent vu des couples détruits par cette hypocrisie émotionnelle. La vraie gentillesse ne se déclare pas, elle se prouve par la constance, la discrétion et la gratuité du geste. »
« Celui qui aide pour être vu récolte le regard des hommes, mais perd le regard de Dieu. »
La douceur authentique ne manipule pas, elle élève. Elle n’enchaîne pas l’autre, elle l’éclaire.
Pour s’en libérer
Reconnaître ces faux gentils, c’est déjà se protéger. Le premier pas consiste à poser des limites claires et à refuser toute culpabilisation. Un accompagnement thérapeutique ou spirituel peut aussi aider à restaurer la confiance et la dignité.
Comme le rappelle Tariq Ramadan dans La réforme radicale (Presses du Châtelet, 2008, p. 210) :
“L’amour sincère est celui qui laisse l’autre libre, non celui qui l’enchaîne au nom de la tendresse.”
En somme
Être gentil n’est pas être naïf. Le vrai bien est lucide, et la vraie bonté se passe de mise en scène.
« Ne craignez pas d’être bons, craignez seulement de ne plus savoir pourquoi vous l’êtes. »
— Imam chroniqueur Babacar Diop
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Babacar Diop













