Le champ pétrolier offshore de Sangomar, situé au large des côtes sénégalaises, est aujourd’hui au centre d’un bras de fer juridique d’envergure internationale. L’entreprise australienne Woodside, opérateur principal du site, a en effet décidé de porter plainte contre l’État du Sénégal devant le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI), une juridiction arbitrale dépendante de la Banque mondiale.

Un différend fiscal de plusieurs milliards
À l’origine de cette procédure : une réclamation fiscale s’élevant à 41 milliards de francs CFA émise par les autorités sénégalaises. Cette somme correspondrait, selon l’administration fiscale nationale, à des taxes supplémentaires que Woodside serait tenue de verser dans le cadre de ses activités sur le site de Sangomar. Cette décision émane du nouveau gouvernement en place, conduit par le président Bassirou Diomaye Faye, qui entend mettre en œuvre une politique de renégociation des contrats jugés déséquilibrés et de récupération des recettes fiscales non perçues.
De son côté, Woodside rejette fermement ces accusations. Dans une déclaration accordée à l’hebdomadaire Jeune Afrique, un porte-parole de la société affirme : « Woodside est convaincu d’avoir respecté l’ensemble de ses obligations contractuelles et fiscales, conformément aux réglementations en vigueur et au contrat de partage de production conclu avec le gouvernement sénégalais. À notre connaissance, aucune dette fiscale n’est en suspens. »
Un recours international aux conséquences lourdes
En saisissant le CIRDI, Woodside opte pour une voie juridique lourde de conséquences. Les décisions rendues par ce tribunal international sont réputées définitives, obligatoires et exécutoires. Elles ne peuvent faire l’objet d’un appel classique, bien que certains recours exceptionnels soient prévus, notamment en cas de vice de procédure ou d’excès manifeste de pouvoir.
Le Sénégal, qui a ratifié la Convention du CIRDI en 1967, est donc pleinement soumis à cette juridiction. En cas de condamnation, l’État pourrait être tenu non seulement de renoncer à ses prétentions fiscales, mais également de verser d’importantes compensations à Woodside, sans compter les frais juridiques et d’arbitrage que cette affaire pourrait engendrer.
Un débat qui divise l’opinion publique
La plainte de Woodside et les implications économiques de ce litige ont rapidement déclenché une vive controverse au sein de l’opinion sénégalaise. Certains commentateurs dénoncent une tentative d’intimidation de la part d’un géant pétrolier face à un gouvernement qui cherche à défendre les intérêts nationaux. D’autres, plus critiques envers les autorités sénégalaises, y voient une stratégie hasardeuse et mal préparée, susceptible de nuire à l’image du pays auprès des investisseurs étrangers.
Des observateurs soulignent également que ce contentieux met en lumière les failles des précédents accords conclus entre l’État et les compagnies pétrolières. Ces contrats, souvent négociés dans des conditions peu transparentes, pourraient avoir accordé des avantages excessifs aux multinationales au détriment des recettes publiques.
Une épreuve pour la gouvernance du secteur extractif
Ce dossier sensible constitue un test majeur pour le gouvernement sénégalais et sa capacité à rééquilibrer les rapports de force dans un secteur stratégique. L’enjeu ne se limite pas à une simple querelle fiscale : il s’agit aussi d’une bataille de souveraineté économique et de crédibilité politique.
Alors que le Sénégal s’apprête à entrer dans l’ère de l’exploitation pétrolière et gazière à grande échelle, l’issue de ce litige pourrait avoir des répercussions considérables sur l’avenir des investissements dans le pays, sur la confiance des bailleurs de fonds et sur la manière dont les citoyens perçoivent la gestion des ressources naturelles.
Le verdict du CIRDI est désormais attendu avec attention, dans un contexte où chaque décision, chaque mot prononcé ou chaque silence observé pourrait peser lourdement sur le destin économique du pays.
Imam chroniqueur Babacar Diop