Pour une justice administrative en éducation : repenser le statut des décisionnaires

Par Imam Babacar Diop, chroniqueur
Dans le vaste chantier de la réforme de l’éducation au Sénégal, un débat silencieux mais crucial s’impose : celui du statut des « décisionnaires ». Ce corps, créé à une époque où le système cherchait à combler un déficit d’enseignants, continue aujourd’hui de susciter incompréhension et malaise. Sa persistance, dans un cadre juridique désormais obsolète, fragilise la cohérence de l’administration et compromet le principe fondamental d’égalité au sein du service public.
Une confusion administrative aux effets inéquitables
Les décisionnaires sont nés d’une nécessité : régulariser des enseignants contractuels ou temporaires en attente d’intégration. Cependant, les réformes successives, notamment les décrets n°2006-392 et n°74-346, ont instauré une situation paradoxale. Ces agents conservent un statut spécifique, mais jouissent aujourd’hui des mêmes avantages que les fonctionnaires : reclassement, indemnités, avancement… Une dualité qui brouille la ligne d’équité.
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Le juriste Amadou Kane résume bien ce paradoxe dans son ouvrage Droit administratif sénégalais (Éditions L’Harmattan, 2020, p. 137) :
« L’administration ne saurait se bâtir sur la coexistence de privilèges implicites et de frustrations explicites. La clarté du droit est le premier pilier de la légitimité de l’État. »
Une question morale avant d’être juridique
Ce débat dépasse le cadre des décrets. Il touche à la justice même de l’institution. Comme le rappelle le Saint Coran :
« Allah commande l’équité, la bienfaisance et l’assistance aux proches, et Il interdit l’injustice et la transgression. »
(Sourate An-Nahl, 16:90)
Maintenir des enseignants dans un statut incertain, alors qu’ils remplissent toutes les conditions légales pour être fonctionnaires, contredit cette injonction divine à la justice. Le Prophète Muhammad ﷺ a d’ailleurs dit :
« Rendez à chacun son droit avant que ne vienne le jour où il n’y aura ni dinar ni dirham. »
(Rapporté par al-Bukhari)
Autrement dit, retarder la reconnaissance du mérite est une forme d’injustice que l’État doit corriger sans délai.
Les fondements d’une réforme nécessaire
Sur le plan juridique, la suppression du corps des décisionnaires s’impose au nom du principe d’égalité inscrit dans la Constitution du Sénégal (article 1er) et dans la Loi d’orientation de l’éducation nationale n°91-22 du 16 février 1991, qui établit l’égalité de traitement entre les personnels éducatifs.
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Cette réforme serait également conforme à la vision du Plan décennal de l’éducation et de la formation (PDEF), qui prône une gestion rationnelle et transparente des ressources humaines.
Le philosophe français Jean-Jacques Rousseau écrivait dans Du contrat social (1762) :
« Là où la loi parle inégalement aux citoyens, il n’y a plus de république, mais un privilège. »
Cette citation s’applique parfaitement à la situation actuelle : un État moderne ne peut entretenir des privilèges statutaires injustifiés.
Les conséquences sociales et psychologiques
Au-delà du droit, la coexistence des deux statuts a des répercussions humaines. Elle crée des frustrations profondes parmi les enseignants, des inégalités de motivation et parfois une baisse de performance. Comme le souligne le pédagogue sénégalais Abdoulaye Sow dans Éthique et engagement dans le métier d’enseignant (Université Cheikh Anta Diop, 2021, p. 64) :
« Le sentiment d’injustice au sein du corps enseignant est le premier facteur de démotivation collective. »
La suppression du corps des décisionnaires, accompagnée d’un plan d’intégration équitable, permettrait de restaurer la confiance et la cohésion au sein du personnel éducatif.
Une exigence de vérité et de cohérence
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Cette réforme est aussi un devoir moral. Comme le rappelait Cheikh Ahmadou Bamba dans ses Khassaïdes :
« L’injustice, même légère, est une obscurité qui s’étend jusqu’au trône. »
De même, Ibn Taymiyya écrivait dans As-Siyassa ash-shar’iyya (p. 43) :
« Allah maintient une nation injuste si elle est ordonnée, mais Il détruit une nation injuste même si elle prie. »
La justice administrative est donc un pilier de la stabilité sociale et spirituelle d’un État.
Vers un modèle plus juste et transparent
Supprimer le corps des décisionnaires ne signifie pas punir, mais reconnaître. Il s’agit de rétablir la clarté institutionnelle, de garantir l’égalité de traitement et de valoriser le mérite. Cette démarche doit s’accompagner de mesures de reclassement transparentes, fondées sur l’âge, le diplôme et les années de service.
L’État sénégalais, dans sa quête de bonne gouvernance, doit oser aller au bout de cette réforme. Il en va de la crédibilité du système éducatif et de la confiance que les enseignants placent dans leurs institutions.
Comme je l’ai écrit dans une de mes chroniques, « L’école publique sénégalaise n’a pas besoin d’un système de privilèges, mais d’un système de justice. »
Et j’ajoute ici :
« Le mérite n’a pas d’âge ni de décret ; il a seulement besoin de reconnaissance. »
— Imam chroniqueur Babacar Diop
Conclusion
En vérité, la question des décisionnaires est celle de la cohérence d’un État vis-à-vis de sa propre parole. Le Sénégal a toujours prôné l’équité et la transparence comme valeurs fondatrices. Il est temps que ces principes se traduisent dans les faits.
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Supprimer le corps des décisionnaires, c’est rendre justice à des femmes et des hommes qui ont servi la Nation avec loyauté. C’est aussi poser la première pierre d’une gouvernance éducative moderne, unifiée et exemplaire.
« Certes, Allah n’aime pas les injustes. » (Sourate Âl-Imrân, 3:57)
Imam chroniqueur
Babacar Diop













