Reine Ndaté Yalla Mbodj : l’âme indomptable du Waalo

Partager cet article
Reine Ndaté Yalla Mbodj : l’âme indomptable du Waalo

Peu de figures féminines ont marqué l’histoire du Sénégal comme Ndaté Yalla Mbodj. Née en 1810 dans le royaume du Waalo, cette souveraine incarne le courage, la dignité et la résistance face à la domination coloniale. Sa vie fut celle d’une femme d’État et de guerre, déterminée à défendre la souveraineté de son peuple à une époque où l’Afrique affrontait les premières vagues d’expansion européenne.

Une éducation forgée dans le feu et la noblesse

Fille de la reine Fatim Yamar Khouriaye Mbodj, elle appartenait à la prestigieuse lignée des Tédiek, issue d’un système matrilinéaire où les femmes jouaient un rôle central dans la succession politique. Selon l’historien Boubacar Barry, « le Waalo est l’un des rares royaumes sénégalais où les femmes exerçaient une autorité réelle, tant sur le plan politique que militaire » (Le Royaume du Waalo : le Sénégal avant la conquête, Karthala, 1985, p. 112).

À lire aussi : Le canton de Gbatopé (les villages de Yobomé; Yobo-sedzro-Zor; Fati) célèbre la Femme Rurale

L’enfance de Ndaté Yalla fut marquée par un épisode dramatique : l’attaque du Waalo par les Maures en 1820. Sa mère, à la tête des troupes, préféra la mort à la captivité, donnant à sa fille une leçon de bravoure que celle-ci porta toute sa vie.

L’ascension d’une reine libre et souveraine

À la mort de sa sœur Djeumbeut Mbodj, le 1ᵉʳ octobre 1846, Ndaté Yalla monta sur le trône. Très tôt, elle s’imposa comme une dirigeante fière, refusant toute tutelle étrangère. Dans une lettre restée célèbre adressée au gouverneur Louis Faidherbe le 23 mai 1851, elle écrivit :

« Le but de cette lettre est de vous faire connaître que l’île de Mboyo m’appartient depuis mon grand-père jusqu’à moi. Aujourd’hui, il n’y a personne qui puisse dire que ce pays lui appartient, il est à moi seule. »

Cette déclaration, que l’historienne Fatou Sarr Sow qualifie de « premier manifeste politique féminin de résistance en Afrique de l’Ouest » (Femmes africaines et pouvoir, L’Harmattan, 2007, p. 67), montre la conscience souveraine d’une reine qui ne se voyait ni inférieure ni dépendante.

Le choc face à la puissance coloniale

Ndaté Yalla s’opposa frontalement à l’expansion française en régulant le commerce et en imposant le passage des troupeaux sur ses terres. Ses mesures protectionnistes irritèrent Faidherbe, qui lança en 1850 une attaque militaire contre le Waalo.

Malgré la supériorité des armes françaises, la reine ne capitula pas. Elle fit preuve, selon le chercheur Cheikh Anta Diop, d’« une intelligence politique rare : en comprenant que la liberté d’un peuple valait mieux que la paix dans la soumission » (Civilisation ou barbarie, Présence Africaine, 1981, p. 243).

Une héritière de la dignité africaine

À lire aussi : Togo/Célébration de la Journée Internationale de la Jeune Fille : Quand les jeunes d’Atakpamé deviennent acteurs du changement social

Avant sa mort en 1860, Ndaté Yalla transmit à son fils Sidya Mbodj l’amour de la liberté et de la justice. Formé à la fois à Saint-Louis et dans les traditions du Waalo, Sidya mena en 1869 une révolte contre les Français avant d’être exilé au Gabon en 1876, où il mourut deux ans plus tard.

Pour l’historien Elikia M’Bokolo, cette filiation symbolise « la continuité d’une conscience nationale avant l’heure, où la dignité se transmettait comme un héritage sacré » (Afrique noire : histoire et civilisations, Hatier, 2004, p. 298).

Un symbole de leadership féminin

L’image légendaire de la reine Ndaté Yalla, pipe royale à la main, entourée de ses guerrières, illustre une forme de leadership féminin africain qui allie autorité, stratégie et spiritualité.

Selon Aminata Diaw-Cissé, philosophe sénégalaise, « Ndaté Yalla Mbodj représente le refus de l’effacement : elle affirme la souveraineté du sujet africain féminin, dans un monde déjà dominé par la logique impériale » (Féminisme et modernité au Sénégal, Presses Universitaires de Dakar, 2003, p. 54).

Héritage et postérité

Aujourd’hui, le nom de Ndaté Yalla Mbodj dépasse le cadre historique. Il inspire les militantes africaines, les intellectuels et les artistes. Son courage rappelle que la résistance n’est pas seulement une affaire d’armes, mais aussi de parole et de mémoire.

Comme l’écrit Cheikh Anta Diop :

« L’histoire africaine se redresse quand les femmes retrouvent leur place dans la mémoire collective. »
(Antériorité des civilisations nègres, Présence Africaine, 1967, p. 91)

À lire aussi : 🇨🇮 CEDEAO : Félicitations au peuple ivoirien pour la tenue pacifique de l’élection présidentielle

En redonnant à Ndaté Yalla Mbodj la place qui lui revient, le Sénégal honore non seulement une reine, mais une mère de la liberté. Son nom résonne encore comme un serment : celui de ne jamais courber la tête devant l’injustice.

Imam chroniqueur
Babacar Diop

Partager cet article

Recherche en direct

Catégories

Autres publications

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Activer les notifications Accepter Non, merci