
Dans un monde où le chômage frappe durement la jeunesse africaine, l’espoir d’un emploi stable et bien rémunéré pousse certains à accepter des offres alléchantes, souvent diffusées sur les réseaux sociaux ou transmises par des connaissances. Derrière ces promesses se cachent pourtant des pièges bien orchestrés, qui conduisent à l’exploitation, à l’esclavage moderne et à la criminalité forcée.
Des jeunes filles rêvant de travailler comme serveuses ou domestiques à l’étranger se retrouvent prostituées dans des conditions inhumaines. Des jeunes hommes, attirés par des offres d’emploi en informatique, sont enfermés dans des centres clandestins de cybercriminalité. D’autres encore deviennent des travailleurs sans salaire, contraints à des journées exténuantes sous la menace et les violences de leurs ravisseurs.
Face à cette tragédie silencieuse, plusieurs victimes ont accepté de témoigner pour lever le voile sur ce fléau et mettre en garde ceux qui, aujourd’hui encore, pourraient tomber dans ces pièges mortels.
Tout commence souvent par une annonce anodine sur Facebook, WhatsApp ou une plateforme d’emploi en ligne. Des recruteurs promettent un salaire alléchant, un voyage pris en charge et parfois même un hébergement gratuit. La seule condition : avancer des « frais administratifs » ou payer le billet d’avion.
L’histoire d’Anita : « On m’a enfermée et obligée à vendre mon corps »
Anita, 21 ans, originaire de Lomé, pensait avoir trouvé une opportunité en or lorsqu’elle a postulé pour un emploi de serveuse en Côte d’Ivoire. « Le recruteur m’a dit que je gagnerais 200 000 FCFA par mois, avec logement et nourriture inclus. Il ne me restait qu’à payer les frais de voyage, ce que j’ai fait avec les économies de ma famille. »
À son arrivée à Abidjan, elle est immédiatement conduite dans une maison isolée. « On nous a dit qu’il n’y avait pas de restaurant et qu’on devait “travailler autrement” pour rembourser notre voyage. On nous enfermait, et des hommes venaient nous voir chaque soir. C’était l’enfer. »

Anita a réussi à s’échapper après plusieurs mois de souffrance, grâce à un client qui a alerté une ONG locale. Aujourd’hui, elle tente de reconstruire sa vie mais reste traumatisée.
Que ce soit pour les jeunes exploités dans les maisons closes, les centres clandestins de cybercriminalité ou les chantiers de travail forcé, les conditions de logement, d’hygiène et d’alimentation sont déplorables. La plupart des victimes sont entassées dans des pièces exiguës, souvent sans fenêtres et avec un accès limité à l’eau potable.
« Nous dormions sur des matelas sales posés à même le sol, parfois à six ou sept dans une petite pièce », raconte Koffi, ancien prisonnier d’un réseau de cybercriminalité au Ghana. « Il n’y avait pas de toilettes en bon état, et nous étions contraints d’utiliser un seau pour nos besoins. »
L’alimentation est également un outil de pression. Dans de nombreux cas, les victimes ne reçoivent qu’un seul repas par jour, souvent insuffisant et de mauvaise qualité. « On nous donnait du riz sec sans sauce, ou du pain rassis », témoigne Joseph, qui a travaillé sur un chantier au Liban. « Si on refusait de travailler, on nous privait de nourriture pendant 24 heures. »
Ces conditions de vie précaires accentuent le stress, la fatigue et la vulnérabilité des victimes, les empêchant de trouver la force de s’enfuir ou de résister à leurs exploiteurs.
Les filles ne sont pas les seules victimes. Des centaines de jeunes hommes se retrouvent piégés dans des centres clandestins de cybercriminalité, notamment en Asie et en Afrique de l’Ouest.
Le cas de Koffi : « J’étais enfermé et forcé d’escroquer des gens sur internet »
Koffi, 24 ans, avait été attiré par une annonce promettant une formation en informatique et un emploi bien rémunéré au Ghana. « On m’a dit que je gagnerais 300 000 FCFA par mois. Une fois sur place, ils ont confisqué mon passeport et m’ont enfermé avec d’autres jeunes. On nous obligeait à contacter des étrangers sur Facebook et WhatsApp pour leur soutirer de l’argent. »
Selon lui, le refus d’obéir entraînait des punitions physiques et des privations de nourriture. « Certains ont essayé de s’échapper, mais ils ont été rattrapés et battus devant nous. On nous répétait que si on partait, la police nous arrêterait, car nous n’avions plus de papiers. »
Il a finalement été libéré après une descente de police dans le centre où il était retenu. Aujourd’hui, il met en garde ses proches contre ces offres trop belles pour être vraies.
Quand les victimes deviennent des bourreaux : l’arnaque au sein des familles.
Pris au piège et n’ayant aucun moyen de subsistance, certains jeunes finissent par accepter d’escroquer leurs propres familles et amis. Sous la pression de leurs bourreaux, ils sont contraints de manipuler leurs proches pour leur soutirer de l’argent.
C’est le cas de Richard, 27 ans, envoyé en Asie pour un prétendu emploi dans une entreprise de marketing digital. « Après un mois, mon passeport avait été confisqué et on m’a donné une liste de contacts à escroquer, y compris des membres de ma famille. Ils me forçaient à appeler mes parents pour leur demander de l’argent sous prétexte que j’étais malade ou que j’avais besoin d’un visa spécial. »
Sa mère, inquiète, a fini par envoyer plus de 500 000 FCFA avant de comprendre qu’il était sous contrainte. « Il n’avait plus le choix », explique-t-elle. « Ils le battaient s’il n’obéissait pas. »
Ce phénomène alimente un cycle de méfiance et de désespoir, détruisant les liens familiaux et isolant encore plus ces jeunes pris au piège.
Pourquoi ces arnaques fonctionnent-elles si bien ?
Plusieurs facteurs expliquent pourquoi tant de jeunes tombent dans ces pièges :
- Le chômage et la pauvreté, qui poussent les jeunes à accepter n’importe quelle opportunité.
- Le manque d’information, qui empêche les victimes de repérer les signes d’une arnaque.
- La complicité de certains intermédiaires, qui jouent le rôle de recruteurs locaux.
- La peur et la honte, qui empêchent les victimes de dénoncer leurs bourreaux.
Comment éviter ces pièges ?
✅ Vérifier l’authenticité des offres d’emploi.
✅ Ne jamais payer pour obtenir un emploi.
✅ Contacter des sources fiables avant d’accepter une offre.
✅ Informer son entourage.
Anita, Koffi, Joseph et Richard ont survécu, mais combien d’autres jeunes continuent de souffrir dans l’ombre ? Lutter contre ces réseaux passe par une sensibilisation massive, une réglementation plus stricte et un soutien accru aux victimes.
Dans un monde où l’illusion d’une vie meilleure peut se transformer en cauchemar, la vigilance est notre meilleure arme.
Jean-Marc Ashraf EDRON