À la frontière de la douleur : quand le sang tache les barbelés de l’Europe

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À la frontière de la douleur : quand le sang tache les barbelés de l’Europe

À la frontière entre le Maroc et l’Espagne, dans les enclaves de Ceuta et Melilla, des hommes, des femmes, des enfants — tous africains — sont prêts à tout. Si tout — y compris laisser leur sang sur les grillages surmontés de barbelés — est un mot trop faible, c’est pourtant ce que révèlent les images glaçantes qui parviennent jusqu’à nous.

Ces migrants fuient des terres qui, paradoxalement, regorgent de richesses naturelles : de l’or, du lithium, des terres fertiles, de l’eau, du pétrole, du fer… L’Afrique n’est pas un désert, mais les inégalités, les guerres, les gouvernances défaillantes, le chômage, le dérèglement climatique, le manque d’infrastructures et l’exploitation étrangère créent un exode dramatique.

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Le scénario tragique : un assaut désespéré

À la frontière de la douleur : quand le sang tache les barbelés de l’Europe

En 2025, au moins 30 migrants sont morts en tentant de rejoindre la frontière entre le Maroc et l’enclave espagnole de Ceuta. L’enclave est aujourd’hui débordée : les centres d’accueil sont saturés, les arrivées quotidiennes s’enchaînent. Rien qu’au mois d’août 2024, les autorités marocaines ont déjoué plus de 11 000 tentatives d’émigration irrégulière vers Ceuta.

En juin 2022, à la frontière de Melilla, une tentative massive de franchissement avait tourné au drame : au moins 23 migrants avaient été tués selon les autorités marocaines, ou jusqu’à 37 selon les ONG. Deux ans plus tard, plus de 70 personnes restent portées disparues, sans que justice ni transparence n’aient été assurées.

Ces chiffres sont lourds, mais ils ne racontent pas tout. Ils ne révèlent pas les visages, les peurs, les cris, ou l’odeur de la sueur et du sang mêlé à la poussière. Ils ne disent pas combien d’êtres humains ont été repoussés vers le désert, abandonnés sans eau ni nourriture, ni comment certains finissent dans des fosses communes anonymes.

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Mécanismes d’un drame structurel

Les murs ne suffisent pas. Les barrières de Ceuta et Melilla existent depuis des années. Celles de Melilla ont été renforcées avec des clôtures parallèles, des caméras, des capteurs et des routes de surveillance. Mais rien n’arrête le désespoir.

La pression des passeurs et des réseaux criminels alimente cette tragédie. Des mafias organisées monnayent des passages illusoires vers l’Europe, exploitant la misère et la naïveté de ceux qui n’ont plus rien à perdre.

La politique migratoire européenne, elle, s’externalise. Les États européens délèguent une partie de la gestion des migrants aux pays de transit, notamment au Maroc, en échange de financements et de coopérations sécuritaires. Pendant ce temps, sur le continent africain, la pauvreté, la corruption et la perte de confiance en l’avenir poussent les jeunes à risquer leur vie pour une illusion d’ailleurs.

Les ONG, elles, dénoncent une impunité persistante : des enquêtes bâclées, des morts sans nom, des familles sans nouvelles. Le silence tue autant que les barbelés.

Le cri qui refuse le silence

Voir du sang sur une clôture, c’est voir une humanité broyée entre le « vouloir vivre » et le « vouloir garder les frontières ». C’est la dureté extrême de ce que l’on appelle « migration irrégulière ». Derrière chaque chiffre, il y a un rêve : celui d’un avenir moins cruel.

Les responsabilités sont partagées, mais pas égales. Les États africains doivent rendre hommage à leurs citoyens en bâtissant des États de droit, en investissant dans l’économie et en combattant la corruption. Les gouvernements de transit, comme le Maroc, subissent la pression européenne tout en jonglant entre coopération et dignité. Et les nations européennes doivent assumer leurs responsabilités : ne pas laisser le « mur extérieur » de l’Europe se transformer en champ de cadavres.

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Quant à nous, citoyens du monde, nous devons refuser l’indifférence. Une démocratie digne ne peut pas fermer les yeux sur des morts à ses portes.

Que faire, alors ?

Demander des enquêtes indépendantes sur les morts de Ceuta et Melilla, avec transparence et participation des familles. Promouvoir des voies légales et sûres d’immigration pour éviter que les populations n’aient à se jeter sur des grillages ou à se noyer en mer. Soutenir les organisations humanitaires sur le terrain et encourager un débat public honnête sur la migration et la responsabilité africaine.

À la frontière entre le Maroc et l’Espagne, ce n’est pas seulement une clôture qui sépare deux territoires : c’est un gouffre entre l’espoir et la douleur. Là où certains voient une barrière, d’autres, affamés de dignité, voient le seul pont vers une vie moins inhumaine. Si le sang coule sur le grillage, c’est qu’une vie y est déjà passée. Que ces morts aient un nom, que leurs cris résonnent, et que l’Afrique cesse de craindre ses enfants partis.

Dunia News – Tossoukpe Frédéric Herman

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