Par Imam chroniqueur Babacar DIOP

La population sénégalaise a connu une augmentation significative entre 2023 et 2024. Selon les données récemment publiées par Les Échos, la population nationale a enregistré une hausse de 466 868 habitants, portant ainsi le total à plus de 18,4 millions d’individus. Cette croissance démographique, bien qu’attendue, soulève des interrogations majeures sur ses répercussions économiques, sociales, sanitaires et environnementales à moyen et long terme.
Dakar : la capitale sous pression
La région de Dakar, toujours plus peuplée, concentre désormais 22% de la population du pays, un chiffre qui témoigne de son rôle prépondérant en tant que centre économique et humain du Sénégal. Dans certaines communes de la capitale, la densité dépasse les 7 000 habitants au km². Cette urbanisation galopante entraîne une série de défis : crise du logement, embouteillages incessants, pollution de l’air et insécurité croissante dans les zones périurbaines. Bien que des projets tels que le Train Express Régional (TER), le Bus Rapid Transit (BRT) ou encore le Plan Sénégal Émergent (PSE) aient été lancés pour désengorger la ville et améliorer la mobilité, leur impact reste encore limité face à une pression démographique toujours croissante.
Un visage féminin et un enjeu sanitaire
Les femmes en âge de reproduction, âgées de 15 à 49 ans, représentent un groupe particulièrement vulnérable, avec près de 4,7 millions de femmes dans cette tranche d’âge. Cette réalité pose un défi important en matière de santé maternelle et infantile, mais aussi pour l’autonomisation économique des femmes. En dépit d’une légère baisse du taux de fécondité observée ces dernières années, celui-ci reste élevé, à 4,2 enfants par femme en moyenne. Si des efforts sont faits pour améliorer l’accès aux soins de santé reproductive et aux méthodes de contraception, ces enjeux nécessitent encore une attention particulière, notamment en milieu rural.
La jeunesse sénégalaise : potentiel ou défi ?
Le Sénégal est un pays jeune, avec plus de 60% de la population âgée de moins de 25 ans. Cette dynamique démographique peut être perçue comme un atout considérable pour le développement du pays, mais elle représente également un défi de taille. Le chômage des jeunes reste élevé, avec un taux proche de 23%, et bon nombre de diplômés peinent à s’insérer dans un marché de l’emploi souvent saturé. Une partie de cette jeunesse se tourne vers l’économie informelle, qui peine à offrir des garanties sociales et une sécurité de l’emploi. Par ailleurs, l’émigration clandestine vers l’Europe demeure une option désespérée pour beaucoup, malgré les dangers bien connus de la traversée de la Méditerranée.
Les zones rurales : entre stagnation et exode
Si les grandes villes, et notamment Dakar, continuent d’attirer une large part des flux migratoires internes, les zones rurales, bien que plus lentes à évoluer, connaissent également des changements. L’accès à l’électricité, à l’eau potable, à l’internet mobile et aux soins de santé s’améliore progressivement, mais de manière inégale selon les régions. Pour contrer l’exode rural, des programmes comme le PUDC (Programme d’Urgence de Développement Communautaire) et PROMOVILLES ont été lancés pour renforcer les infrastructures et offrir des alternatives de développement local. Néanmoins, la migration vers les centres urbains continue à être une réalité incontournable.
Sécurité alimentaire : l’enjeu majeur
La croissance démographique, combinée à l’insécurité alimentaire, constitue l’un des défis les plus importants pour le pays. Alors que le Sénégal reste largement dépendant des importations pour certains produits de base, la pression démographique sur les terres agricoles et les ressources naturelles se fait sentir. Le changement climatique, les difficultés d’accès aux terres et aux intrants agricoles, ainsi que la faible mécanisation du secteur limitent la capacité de production. Paradoxalement, le potentiel agricole du pays reste immense, en particulier dans les vallées du fleuve Sénégal et de l’Anambé, qui constituent des zones stratégiques pour garantir l’autosuffisance alimentaire à long terme.
Éducation, logement et emploi : les trois secteurs en crise
Le système éducatif sénégalais est sous pression. La surpopulation scolaire, avec des classes de plus de 80 élèves, des infrastructures vieillissantes et un manque d’enseignants qualifiés, compromet sérieusement la qualité de l’enseignement. Le secteur du logement, quant à lui, peine à répondre à la demande croissante, surtout à Dakar, Thiès et Saint-Louis. Le programme des 100 000 logements lancé par l’État est une réponse, mais il reste largement insuffisant pour combler le déficit qui se chiffre en centaines de milliers d’unités. En matière d’emploi, les opportunités formelles sont rares, et l’entrepreneuriat des jeunes peine à se structurer. Le gouvernement encourage des initiatives comme la DER/FJ (Délégation à l’Entrepreneuriat Rapide), mais les difficultés d’accès au financement, la formation insuffisante et le manque de suivi constituent encore de nombreux obstacles.
Un appel à la planification rigoureuse
Face à cette évolution démographique, une planification rigoureuse est plus que jamais nécessaire. L’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD) multiplie les enquêtes pour mieux comprendre les dynamiques de la population et ajuster les politiques publiques en conséquence. Le prochain recensement général prévu pour 2026 sera crucial pour recadrer les priorités du gouvernement en matière d’éducation, de santé, d’emploi et d’urbanisation.
Un défi collectif pour le Sénégal de demain
Au-delà des pouvoirs publics, il appartient à tous les acteurs de la société – religieux, leaders communautaires, organisations de la société civile, jeunes et femmes – de prendre une part active à cette transition démographique. Car derrière les chiffres, ce sont des millions de vies, des espoirs et des défis quotidiens qui dessinent le visage du Sénégal de demain.