Mode capillaire au Sénégal : Entre strass, stress et affirmation de soi

Au Sénégal, les coiffures féminines ne relèvent pas simplement du domaine esthétique. Elles reflètent les dynamiques sociales, les normes de beauté, les aspirations personnelles et les influences extérieures. Longtemps dominées par les « lifes », les « mëgg » et les « renversés », les tendances capillaires évoluent aujourd’hui vers des styles plus variés : perruques sophistiquées, greffages colorés, cheveux naturels soignés ou crâne rasé assumé.
Une beauté mobile : perruques et greffages à la mode
Dans les salons de coiffure du marché Lat-Dior à Dakar, les perruques occupent désormais une place de choix. Awa Gueye, coiffeuse installée dans ce carrefour très fréquenté, confie :
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« En ce moment, ce qui cartonne, ce sont les perruques. Les coupes carrées et les têtes légères sont très demandées, surtout à cause de la chaleur. »
Les prix varient entre 5.000 FCFA pour les « braids » classiques à 150.000 FCFA pour les perruques de luxe importées des États-Unis ou de Chine.
Cheikh Gassama, vendeur de perruques et produits capillaires, observe une demande croissante :
« Les clientes veulent du confort, du style et de la couleur. Avec la chaleur, les extensions légères sont privilégiées. »
Il vend aussi des produits d’entretien adaptés aux différents types de cheveux : sprays pour greffages lisses, huiles pour cheveux naturels frisés, etc.
Beauté, estime de soi et pression sociale
La beauté a un coût, et certaines n’hésitent pas à investir pour se sentir valorisées. Khady Diop, rencontrée au marché Sandaga, assume ses choix capillaires :
« Je me sens belle avec ma perruque. Cela n’a pas de prix », dit-elle fièrement après avoir déboursé 90.000 FCFA pour un modèle carré frisé.
Mais derrière l’esthétique se cache parfois un combat. Fatou Dramé, étudiante sans bourse, souffre d’alopécie. Elle confie avec humour :
« Je ne travaille pas. Mes sœurs me donnent parfois des perruques. Mais cela me permet de me sentir belle et en confiance. »
Selon le professeur Toni C. Irving, spécialiste de la culture afro-américaine, dans “Hair Matters: Beauty, Power, and Black Women’s Consciousness” (Routledge, 2013),
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« Le cheveu noir, plus qu’un attribut, devient un terrain de lutte identitaire et politique. Les choix capillaires sont porteurs de sens, entre revendication de soi et adaptation sociale. »
Dans un contexte où la norme occidentale influence souvent les standards esthétiques, Dr Juliette Sméralda, sociologue martiniquaise, rappelle dans son ouvrage “Peau noire, cheveu crépu : l’histoire d’une aliénation” (2005, p. 45) :
« La perruque ou le défrisage peuvent être vécus comme des stratégies d’intégration, mais aussi comme des formes d’auto-négation. »
Le rasage, entre esthétique, spiritualité et praticité
Face à cette complexité, certaines femmes optent pour une démarche plus radicale : la boule à zéro. Comme l’artiste Coumba Gawlo ou la danseuse Germaine Acogny, de nombreuses Sénégalaises choisissent aujourd’hui de raser leur tête.
Fatou Seye Mbaye confie :
« J’ai décidé de me raser la tête, c’est plus pratique avec cette chaleur. »
De son côté, Fatima Djimera Cissé explique :
« Je n’aime pas me tresser. Depuis juin, je suis passée à la boule à zéro. Et je prends soin de mon cuir chevelu avec de l’huile de ricin et du beurre de karité. »
Pour Malika, lycéenne, se tresser est devenu un supplice :
« J’ai peur de me tresser, ça me fait mal. Mes cheveux sont devenus trop secs. »
Cette tendance, à contre-courant des styles flamboyants, révèle une quête de liberté et de simplicité. Pour Angela Davis, militante afro-américaine,
« La coupe à ras incarne parfois une protestation silencieuse contre l’obligation de se conformer aux canons de beauté occidentaux. » (Autobiographie, 1974)
Une affaire de femmes… et de société
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Qu’elles soient tressées, bouclées, rasées ou artificielles, les coiffures féminines sont aujourd’hui autant un choix esthétique qu’un discours social. Elles traduisent des aspirations diverses : confort, spiritualité, affirmation identitaire, séduction, résistance.
Dans une société où l’apparence reste fortement scrutée, les cheveux deviennent un champ d’expression, parfois un refuge, souvent un combat. Comme le disait Simone de Beauvoir dans Le Deuxième Sexe (1949) :
« On ne naît pas femme : on le devient. »
Et pour beaucoup de Sénégalaises, cela passe aussi par la tête.
Imam chroniqueur Babacar Diop













