Menu

Parc de Ma Mbed Mbed: les manifestants se radicalisent malgré l’appel au calme des autorités

Partager cet article

La tension est loin d’être retombée dans le Mayo-Kani, un des départements de la région de l’Extrême-Nord à majorité peuplé par l’ethnie Tupuri. Vendredi dernier, plus de 10 000 personnes, selon un comptage non officiel, ont fait le pied de grue dans les localités de Kourbi et Ngarmassé pour exiger l’annulation du décret qui crée le parc national de Ma Mbed Mbed a-t-on appris .

Au lendemain de la fête de la jeunesse d’autres mobilisations du genre étaient prévues selon certains manifestants «on va à nouveau manifester pacifiquement si le gouvernement n’a toujours pas annulé le décret de création de ce parc », promet un des porte-voix de cette revendication.  

On retrouve la même détermination dans un projet de correspondance que les manifestants ont prévus d’adresser au gouverneur de l’Extrême-Nord, Midjiyawa Bakari. « Vous avez été joint au journal de 20h [CRTV] pour raconter tout ce qui est contraire à ce que vous avez vécu. Monsieur le gouverneur, vous avez publiquement déclaré que “vous avez apaisé la tension (…)”. Pour vous, tout est à l’imparfait et rentre déjà dans les oubliettes

Les auteurs de ce projet de correspondance accusent le gouverneur d’avoir tronqué la vérité, ce qui a contribué à davantage radicaliser les manifestants. Le ton du document est loin d’être protocolaire : « Vous nous avez pris pour des illettrés (…) ». Un sentiment largement partagé par l’ethnie Tupuri, qui est, dans son ensemble, vent debout contre l’ouverture du parc de Ma Mbed Mbed, comme le confirme le Bureau mis en place pour négocier la fermeture de cette réserve faunique avec le gouvernement.

Froumsia Moksia, un universitaire qui enseigne à l’université de Maroua, dirige ce bureau chargé des négociations pour la fermeture définitive de Ma Mbed Mbed. Il avoue que les récents évènements ont largement contribué à radicaliser les manifestants. C’est à tel point que ce groupe de travail qu’il préside ne peut plus empêcher de nouvelles manifestations.

Plusieurs confidences concordantes laissent entendre que le gouvernement a intérêt à trouver une solution rapide parce que les prochaines mobilisations pourraient attirer plus de manifestants. Abel Dawe, un jeune installé à Dziguilao, une commune du Mayo-Kani, l’un des tous premiers à prendre la parole dans la presse au lendemain des premières manifestations au mois de janvier 2025, soutient que les Tupuris sont un grand peuple.

Ils sont présents dans huit arrondissements de l’Extrême-Nord répartis dans les départements du Mayo-Kani et du Mayo-Danay. En plus, on retrouve aussi une grande communauté Tupuri dans le sud-est du Tchad. C’est d’ailleurs de l’autre côté de la frontière que se trouve le chef supérieur de cette ethnie (le Wang Dori). Les connexions sont étroites entre Tupuris du Cameroun et du Tchad, qui célèbrent ensemble la Fête du coq. Une connexion qui pourrait bien gonfler les rangs des manifestants les prochaines fois, a indiqué Abel Dawe.

Tout porte à croire que le gouvernement a pris la mesure du problème. Joseph Dion Ngute, le premier ministre a convoqué le ministre des Domaines, du cadastre et des affaires foncières (Mindcaf), Henri Eyebe Ayissi, à une réunion qui s’est tenu selon plusieurs sources le 12 février dernier. Selon la correspondance du chef du gouvernement, il était question de sortir de cette réunion de travail avec des « mesures concrètes à mettre en œuvre ».

Ces mesures vont certainement être épiées de loin par le Bureau mis en place par la communauté Tupuri pour négocier la fermeture de Ma Mbed Mbed. C’est sans doute la toute première fois que le gouvernement va poser cette revendication sur la table. Froumsia Moksia assure que le Premier ministère a déjà été saisi plusieurs fois sans suite. Et qu’il a lui-même écrit au président de la République Paul Biya pour dénoncer ce que le Bureau compare à un « complot contre le peuple Tupuri ». Comme l’immeuble Étoile, le palais d’Etoudi est resté silencieux a-t-il regretté.

Si Froumsia Moksia et les autres membres du Bureau parlent de complot, c’est bien parce que la mise en place du parc de Ma Mbed Mbed va grandement incommoder les populations Tupuries. D’abord parce que le tracé de ce parc va obliger que certains villages soient déplacés. « Des villages dans lesquels les populations sont installées depuis 1935 pour certains et 1948 pour d’autres », s’offusque Froumsia Moksia.

Il admet aussi que les Tupuris sont convaincus que le gouvernement a choisi de déplacer des hommes pour installer des éléphants. Depuis le début de ce projet, le ministère des Forêts et de la faune (Minfof) explique que Ma Mbed Mbed va servir de couloir de migration pour permettre aux pachydermes de se déplacer entre les parcs de Binder Léré au Tchad et de Kalfou au Cameroun.

Ce projet pose un dernier problème, à en croit le Bureau. Pour lui, ces éléphants vont sortir de ce couloir migratoire pour attaquer les populations et détruire leurs plantations. « Quand un éléphant a soif, il peut parcourir 100 kilomètres pour chercher un point d’eau. Ce qui va l’amener hors de la réserve », fait savoir Froumsia Moksia.

Ce dernier attend toujours que le gouvernement prenne en compte toutes ces plaintes. Les mêmes qui avaient déjà poussées l’ancien sénateur Dakolé Daïssala, décédé en août 2022, à s’opposer au projet de création de Ma Mbed Mbed, qui date de 2004.

Le projet va rester dans les tiroirs pendant plus de 10 ans. C’est finalement en 2020 que le décret de création signé par le Premier ministre, Joseph Dion Ngute est publié. Mais ce qui, de toutes évidences, va mettre le feu aux poudres, c’est le début des travaux de démarcation du tracé de Ma Mbed Mbed.

Pour ne rien arranger, une correspondance du Minfof, datée du 3 février dernier, affecte le matériel informatique à cette réserve : un laptop, un desktop, deux logiciels antivirus, deux logiciels Microsoft et une imprimante. Pour les populations en colère, cette affectation est la goutte d’eau de plus. Qui participe aussi à radicaliser les manifestants.

L’opinion, elle, dans sa grande majorité, exprime de la sympathie pour ces manifestants qui ne demandent qu’à vivre sur leurs terres loin de la proximité avec les éléphants. En pleine année électorale, cette affaire n’a pas tardé à intéresser les politiciens.

Mamadou Mota, l’un des quatre vice-présidents du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) de l’opposant Maurice Kamto, originaire de l’Extrême-Nord, a lui aussi montrer sa sympathie à cette mobilisation menée par le peuple Tupuri. Il ne manque pas de pronostiquer que les électeurs sauront s’en souvenir une fois dans l’isoloir en octobre prochain, date prévue pour la prochaine élection présidentielle.

Partager cet article

Recherche en direct

Catégories

Autres publications

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Activer les notifications Accepter Non, merci