
Depuis plusieurs mois, la Mauritanie fait face à une recrudescence des arrestations et des expulsions de migrants en situation irrégulière. Principalement originaires du Sénégal, de la Guinée, du Mali et de la Côte d’Ivoire, ces sans-papiers sont interpellés par centaines, puis transférés vers un centre de détention situé au port de Nouadhibou, en attendant leur expulsion vers leurs pays d’origine.
Des opérations musclées ciblant les migrants
Les forces de l’ordre mauritaniennes multiplient les opérations de contrôle, notamment dans les quartiers populaires de Nouakchott et Nouadhibou, où réside une importante communauté de travailleurs migrants. Selon plusieurs témoignages, ces rafles touchent aussi bien les personnes en transit vers l’Europe que celles établies en Mauritanie depuis plusieurs années.
« J’ai été arrêté en pleine rue alors que je revenais de mon travail. Je vis ici depuis cinq ans, mais comme je n’ai pas de papiers en règle, on m’a conduit au centre de rétention », raconte Mamadou, un ouvrier malien de 32 ans. Comme lui, de nombreux migrants se retrouvent privés de liberté du jour au lendemain, souvent sans possibilité de récupérer leurs biens personnels ou de prévenir leurs familles.
Les organisations de défense des droits humains dénoncent des pratiques qu’elles jugent arbitraires. « Ces opérations se déroulent sans notification préalable, et les personnes interpellées n’ont souvent aucun moyen de contester leur arrestation », déplore un responsable de l’Association Mauritanienne des Droits de l’Homme (AMDH).
Des conditions de détention alarmantes
Le centre de rétention du port de Nouadhibou est au cœur des préoccupations. Décrit comme surpeuplé et insalubre, il accueille des centaines de migrants dans des conditions précaires. Selon plusieurs ONG, les détenus manquent d’accès aux soins médicaux, à une alimentation adéquate et à une assistance juridique.
« Certains sont détenus pendant des semaines sans informations claires sur leur sort », explique un militant local. « Ils vivent dans l’angoisse permanente d’être expulsés du jour au lendemain, parfois sans avoir eu le temps de faire valoir leurs droits. »
Une récente visite d’observateurs indépendants a révélé des cas de maltraitance et de détentions prolongées au-delà des délais légaux. « Nous avons rencontré des personnes gravement malades, dont certaines n’ont reçu aucun traitement médical », alerte un membre de l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM).
Une pression accrue sous l’influence de l’Union européenne
La politique migratoire stricte de la Mauritanie s’inscrit dans le cadre des accords de coopération signés avec l’Union européenne. En échange d’un soutien financier, Nouakchott s’engage à renforcer le contrôle de ses frontières et à prévenir l’immigration irrégulière vers l’Europe, en particulier via la dangereuse route maritime menant aux îles Canaries.
Ces accords, critiqués par plusieurs associations, entraînent une augmentation des expulsions vers les pays d’origine, souvent sans examen approfondi de la situation individuelle des migrants. « La Mauritanie agit sous la pression européenne, mais à quel prix humain ? », s’interroge un analyste politique local.
En 2024, plus de 3 000 migrants auraient été expulsés, selon des chiffres officiels. Une tendance qui devrait se poursuivre en 2025, malgré les appels récurrents à un moratoire sur ces renvois collectifs.
Des vies brisées, un avenir incertain
Pour de nombreux sans-papiers, l’arrestation et l’expulsion marquent l’effondrement d’un rêve : celui de trouver une vie meilleure ou d’échapper aux crises économiques et politiques dans leurs pays d’origine. Certains, comme Amadou, un jeune Guinéen de 27 ans, tentent de revenir après avoir été expulsés.
« Après mon expulsion, je suis retourné en Guinée, mais je n’ai trouvé ni travail ni avenir. J’ai dû prendre à nouveau la route, au péril de ma vie », confie-t-il.
D’autres, plus vulnérables, sombrent dans l’oubli. Des familles restent sans nouvelles de leurs proches arrêtés, tandis que certains migrants, épuisés par des années d’errance, finissent par renoncer.
Des appels croissants pour une politique plus humaine
Face à l’ampleur de la crise, les voix s’élèvent pour exiger une approche plus humaine et respectueuse des droits fondamentaux. Les organisations humanitaires appellent la Mauritanie à cesser les expulsions arbitraires et à garantir des procédures transparentes pour les migrants en détention.
« Une politique migratoire durable ne peut reposer uniquement sur la répression. Il est impératif d’offrir des voies légales de régularisation et de protéger les personnes les plus vulnérables », plaide un représentant de Human Rights Watch.
En attendant, pour les centaines de sans-papiers entassés au port de Nouadhibou, l’avenir demeure incertain, suspendu entre l’espoir d’une vie meilleure et la crainte d’une expulsion imminente.
Par : imam chroniqueur Babacar DIOP