SCANDALES CULTURELS DANS LES ÉCOLES : UNE DÉRIVE ALARMANTE QUI INTERROGE TOUT UN SYSTÈME

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SCANDALES CULTURELS DANS LES ÉCOLES : UNE DÉRIVE ALARMANTE QUI INTERROGE TOUT UN SYSTÈME

Longtemps perçues comme des moments d’expression créative et de valorisation des talents, les semaines culturelles dans les établissements scolaires sénégalais sont aujourd’hui au cœur d’une controverse nationale. Ce qui devait être un espace d’éveil artistique, d’éducation civique et de renforcement identitaire se transforme progressivement en une scène d’exhibitionnisme, de violences symboliques et de déviance morale.

Des scènes troublantes : du folklore à la provocation

À Fosco, des élèves en tenues indécentes — pagnes bas, brassières, danses suggestives — ont été filmées sur scène. À Ziguinchor, une élection de “Miss Diongoma” a suscité une polémique nationale. À Keur Massar, un concours de danse urbaine aux allures de spectacle nocturne a été publié sur TikTok. Les vidéos ont fait le tour des réseaux sociaux.

« Ce n’est plus de la culture, c’est une déculturation spectaculaire. Une imitation désordonnée de modèles occidentaux qui ne respectent ni l’âge ni le contexte. »
(Pr. Serigne Mor Mbaye, professeur d’anthropologie de l’éducation, Université Cheikh Anta Diop, propos tenus dans une tribune publiée dans Sud Quotidien, mars 2025).

Réseaux sociaux et vide éducatif : le cocktail explosif

Selon un rapport de l’ARTP (avril 2025), 92 % des collégiens sénégalais ont accès aux réseaux sociaux, dont 65 % à travers un téléphone personnel non contrôlé.

« Les défis viraux et les logiques de like prennent désormais le pas sur l’éthique scolaire »,
(Dr Aïssatou Fall, spécialiste en pédagogie numérique, conférence au Forum sur l’éducation éthique, Université Gaston Berger, janvier 2025).

Le philosophe Alioune Sall, directeur de l’Institut des Futurs Africains, alerte :

« L’école sénégalaise est en train de perdre la bataille des imaginaires. Il faut réenchanter la notion même d’excellence. »
(propos tirés de son essai L’Afrique à venir : savoirs et espérance, éditions Nouvelles Humanités, 2023, p. 113).

Une prise de parole religieuse rare mais salutaire

Cheikh Mahy Cissé, guide religieux de Kaolack, a dénoncé la dérive lors de son khotba du 7 mars 2025 (mosquée Rawdatul Maktoum) :

« L’école ne peut pas devenir un lieu de débauche. L’éducation, dans notre tradition, est inséparable de l’éthique. »

Pr. Abdoul Aziz Kébé, islamologue et ancien Délégué général au pèlerinage, écrivait dans une tribune (Walf Quotidien, février 2025) :

« Nous avons hérité d’un modèle de transmission du savoir qui valorisait la maîtrise de soi, le respect, la pudeur. Il faut revisiter cette tradition sans tomber dans la censure aveugle. »

Une gouvernance défaillante et une absence de cadre

Le CUSEMS, syndicat d’enseignants, dans un communiqué du 10 avril 2025, déplore :

« Aucun manuel, aucun module ne nous est fourni pour encadrer les semaines culturelles. Nous sommes livrés à nous-mêmes. »

Dr Issa Samb, enseignant-chercheur à l’ENS de Dakar, déclarait lors du Colloque sur l’éducation civique en milieu scolaire (mars 2025) :

« L’éducation culturelle est aussi stratégique que les mathématiques. Sans culture bien encadrée, il n’y a pas de citoyenneté critique. »

Cinq pistes concrètes proposées par les spécialistes

  1. Élaborer des guides pédagogiques normalisés pour toutes les semaines culturelles.
  2. Instituer des comités mixtes (parents/enseignants/encadreurs) dans chaque événement scolaire.
  3. Mettre en valeur les formes culturelles enracinées : théâtre traditionnel, contes éducatifs, chant religieux, poésie soufie.
  4. Créer une base de données numérique nationale sur les bonnes pratiques culturelles scolaires.
  5. Former les encadreurs culturels scolaires à l’éthique et à l’interculturalité.

« Si la culture scolaire n’élève pas, elle dégrade. Nous devons décider de ce que nous voulons transmettre à nos enfants. Laisser-faire, c’est trahir. »
(Pr. Fatoumata Gaye, spécialiste en éthique éducative, propos tenus lors du Sommet africain des pédagogies critiques, Nairobi, 2024).

Conclusion : une école à reconstruire autour du sens

Ces dérives ne sont pas anodines. Elles révèlent une crise profonde de gouvernance, de modèle et de vision. Si rien n’est fait, ce n’est pas seulement la culture scolaire qui s’effondre, mais la mission même de l’école sénégalaise. Il est urgent de réconcilier l’école avec le sens, l’éthique et la dignité.

Imam chroniqueur Babacar Diop

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