États-Unis – Canada : le retour des tensions tarifaires sous Donald Trump, entre diplomatie contrariée et protectionnisme assumé

L’annonce, ce samedi, d’une hausse de 10 % des droits de douane américains sur les produits canadiens ravive le spectre d’une nouvelle friction commerciale entre les deux partenaires nord-américains. L’ancien président Donald Trump, qui poursuit activement sa stratégie de réaffirmation du pouvoir économique des États-Unis, a justifié cette décision par la diffusion d’une publicité canadienne jugée « frauduleuse », utilisant à tort, selon lui, l’image de Ronald Reagan.
Une décision plus symbolique qu’économique
Si la mesure semble, dans l’immédiat, d’ampleur limitée, elle s’inscrit dans un cadre plus large de protectionnisme économique que Trump a remis au cœur du discours politique américain depuis 2016.
Dans sa déclaration sur Truth Social, l’ancien président a accusé Ottawa d’avoir « manipulé » les propos de Reagan sur les droits de douane, qualifiant l’initiative d’« acte hostile » et de « tentative d’influence sur la Cour suprême américaine ».
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La Fondation Reagan a confirmé avoir effectivement utilisé des extraits sélectifs de discours anciens, sans autorisation explicite, ce qui a nourri les tensions. Le débat dépasse dès lors la simple question de publicité : il touche à la mémoire politique et symbolique d’une figure conservatrice emblématique, souvent invoquée par Trump pour légitimer son approche économique.
Une crispation dans un partenariat stratégique
Depuis la signature de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM), les relations entre Washington et Ottawa alternent coopération économique et différends tactiques.
Selon Jennifer Welsh, professeure de relations internationales à l’Université McGill (The Return of Economic Nationalism, Oxford University Press, 2023, p. 142),
« la relation canado-américaine est fondée sur une interdépendance économique forte, mais elle demeure fragilisée par des visions politiques divergentes sur le rôle de l’État dans le commerce mondial ».
Les nouvelles taxes, bien que modestes, pourraient fragiliser certains secteurs clés, notamment l’agroalimentaire et les produits manufacturés, où le Canada dépend largement du marché américain. L’épisode pourrait aussi réanimer le débat sur la souveraineté commerciale et la place du nationalisme économique dans la stratégie diplomatique des deux pays.
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Le poids du symbolique dans la diplomatie commerciale
Pour Thomas Piketty, dans Une brève histoire de l’égalité (Seuil, 2021, p. 257),
« les tensions commerciales contemporaines traduisent moins des divergences économiques que des affrontements idéologiques sur le sens même de la mondialisation ».
En ce sens, la réaction de Trump s’inscrit dans une logique de diplomatie de puissance, où chaque mesure tarifaire sert à affirmer une souveraineté économique face aux institutions internationales et aux voisins jugés « trop dépendants du système libéral globalisé ».
Cette approche, bien que critiquée par de nombreux économistes, trouve un écho auprès d’une partie de l’électorat américain, sensible à la rhétorique du « made in America ». D’après Paul Krugman, prix Nobel d’économie,
« la politique tarifaire de Trump relève moins de l’économie que de la psychologie politique : elle vise à faire sentir à l’Amérique qu’elle reprend le contrôle » (The New York Times, analyse du 18 juillet 2024).
Une diplomatie à l’épreuve du nationalisme économique
En réponse, Ottawa a choisi pour l’instant la retenue diplomatique, en évoquant une « mesure regrettable mais réversible ». Le gouvernement canadien sait que la stabilité économique du continent repose sur une coopération durable avec Washington.
Toutefois, selon Michael Byers, spécialiste du droit international à l’Université de Colombie-Britannique (Navigating Power Asymmetry, Routledge, 2022, p. 89),
« chaque fois que le leadership américain se redéfinit par la contrainte, c’est l’équilibre diplomatique nord-américain qui se trouve menacé ».
Ainsi, au-delà de la querelle publicitaire, l’affaire illustre la recrudescence d’un protectionnisme stratégique, à mi-chemin entre affirmation identitaire et instrumentalisation politique du commerce international.
Un signal clair, à la fois pour Ottawa et pour le reste du monde : la diplomatie économique de Donald Trump demeure fidèle à sa logique unilatérale, où chaque différend devient l’occasion de redessiner les rapports de force.
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Imam chroniqueur
Babacar Diop













