Folie et dignité humaine : une fenêtre sur nos indifférences

« Le fou n’est pas celui qui a perdu la raison, mais celui qui en souffre seul. »
— Imam chroniqueur Babacar Diop
La folie n’est pas qu’une maladie mentale. Elle révèle, souvent, les fissures invisibles d’une société qui marginalise ce qu’elle ne comprend pas. Entre détresse et résistance, douleur et lucidité, les “fous errants” de nos villes rappellent à chacun la fragilité de l’équilibre humain.
Le miroir d’une humanité blessée
Dans nos rues, nos hôpitaux et nos discours, la folie demeure l’un des derniers tabous sociaux. Elle effraie, dérange, et renvoie à ce que nous redoutons le plus : perdre le contrôle, être dépossédés de soi. Pourtant, comme le souligne Frantz Fanon, « la folie n’est pas une défaite de l’esprit, mais une révolte contre l’inhumanité du monde » (Peau noire, masques blancs, Seuil, 1952, p. 88).
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Cette “révolte silencieuse” révèle la tension entre l’individu et la société, entre l’être et le regard des autres. Selon Dr Moussa Samb, psychiatre au CHU de Fann, « la folie en Afrique n’est pas seulement une question médicale ; c’est un miroir social qui renvoie à la qualité du lien communautaire » (Santé mentale en Afrique de l’Ouest, Dakar Médical, 2019, p. 115).
Nos sociétés, obsédées par l’apparence de la normalité, rejettent souvent ceux qui refusent — ou échouent — à s’y conformer.
Folie, solitude et quête de sens
La folie, au-delà des diagnostics, peut aussi être comprise comme un exil de l’âme. L’être humain, écrasé par les exigences du monde moderne, s’enferme dans un silence intérieur. C’est là que commence parfois le délire — ou la prière, selon le regard qu’on porte.
Pour Imam chroniqueur Babacar Diop, « certains fous ne sont pas déments : ils cherchent Dieu dans les interstices du bruit. Leur errance est un cri, pas une fuite. »
Le Coran rappelle :
« Nous vous éprouverons par un peu de peur, de faim et de perte de biens, de personnes et de fruits. Annonce la bonne nouvelle à ceux qui endurent. »
(Sourate Al-Baqara, v. 155)
Cette épreuve spirituelle, vécue dans la chair et l’esprit, révèle parfois une dimension de la foi et de la résistance que la raison seule ne peut expliquer.
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Créer pour guérir, parler pour exister
Face au silence social, l’art et la parole deviennent des formes de guérison. Créer, c’est refuser de se taire. Comme l’écrivait Albert Camus, « la création est la seule façon pour l’homme de supporter le chaos du monde » (L’Homme révolté, Gallimard, 1951, p. 123).
Dans les sociétés africaines traditionnelles, la parole du “fou” avait autrefois valeur d’oracle. Cheikh Tidiane Diop, sociologue, note :
« La modernité a médicalisé la folie, mais elle a perdu sa dimension symbolique. Le fou d’hier, qu’on écoutait, est devenu celui qu’on isole. »
(Sociologie des représentations de la folie au Sénégal, PUF, 2021, p. 57).
Repenser la santé mentale, c’est donc redonner à ces voix écartées leur place dans le concert de l’humanité.
Une éthique du regard
Le vrai défi n’est pas de soigner la folie, mais de guérir notre regard. La marginalisation des personnes atteintes de troubles mentaux trahit un malaise collectif : celui d’une société qui n’a plus le courage d’aimer sans condition.
« La plus grave des folies est de croire que la raison suffit à sauver le monde. »
— Imam chroniqueur Babacar Diop
Dans les rues de Dakar, Thiès ou Kaolack, chaque “fou errant” porte en lui un fragment de notre conscience. Les ignorer, c’est refuser de voir ce que nous sommes : des êtres fragiles, traversés par la douleur et l’espérance.
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Le psychiatre français Boris Cyrulnik, spécialiste de la résilience, l’exprime clairement :
« Ce que nous appelons folie n’est souvent qu’une stratégie de survie face à une douleur insupportable. »
(Les âmes blessées, Odile Jacob, 2014, p. 212).
Conclusion : ouvrir nos fenêtres intérieures
Réfléchir à la folie, c’est réfléchir à notre humanité. Ce que nous appelons “dérèglement” peut parfois être un appel au secours, un langage que nous ne savons plus décoder.
La santé mentale, loin d’être une question marginale, est un indicateur moral d’une nation. Une société se juge à la manière dont elle traite ses vulnérables — ses pauvres, ses prisonniers, ses malades mentaux.
Comme le disait Cheikh El Hadji Malick Sy :
« La folie n’est pas toujours un désordre ; parfois, c’est la lumière qui éclaire trop fort. » (Khalifa, vol. II, p. 203).
Aujourd’hui plus que jamais, nous avons besoin d’ouvrir nos fenêtres intérieures — pour respirer, comprendre, et redonner sens à la compassion.
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Imam chroniqueur
Babacar Diop













