La stigmatisation, qu’elle soit sociale, économique ou culturelle, désigne le processus par lequel un individu ou un groupe est marqué, souvent injustement, comme inférieur, déviant ou indésirable. Ce phénomène trouve sa résonance non seulement dans la réalité humaine mais aussi dans les enseignements spirituels et religieux. Dans l’Islam, la stigmatisation va à l’encontre de l’esprit de justice, de miséricorde et d’égalité que la religion promeut. À travers le Coran, les hadiths, ainsi que les enseignements des érudits musulmans classiques et contemporains, l’Islam condamne fermement ce mal social.
Le Coran et l’Appel à la Dignité Humaine
Le Coran, véritable guide moral, met en avant la dignité humaine comme un principe fondamental de l’existence. Dans la Sourate Al-Hujurat (49:13), il est écrit :
« Ô hommes, Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle, et Nous avons fait de vous des nations et des tribus afin que vous vous entre-connaissiez. Le plus honorable d’entre vous auprès de Dieu est le plus pieux. » (Coran, 49:13)
Ce verset affirme que les distinctions humaines ne doivent jamais être basées sur des critères externes tels que la couleur de peau, la richesse ou l’origine ethnique. Seule la piété est le critère de distinction devant Dieu. La stigmatisation, qui repose sur ces facteurs externes, est donc en contradiction avec les principes islamiques de respect et d’égalité.
Dans la Sourate Al-Hujurat (49:11), Allah dit :
« Ô vous qui avez cru, qu’aucun homme ne ridiculise un autre homme qui pourrait être meilleur que lui. » (Coran, 49:11)
Ce verset met en lumière l’injustice de toute forme de dénigrement. Le Coran invite à la prudence et à l’humilité, rappelant que nous ne savons pas qui parmi nous est réellement honoré par Allah. La stigmatisation n’est pas seulement une injustice sociale, mais une offense envers la volonté divine.
Le Prophète Muhammad (PBUH) et la Condamnation de la Stigmatisation
Le Prophète Muhammad (PBUH) a incarné l’esprit de tolérance et de respect envers tous les individus, indépendamment de leur statut social, de leur origine ou de leurs erreurs passées. Dans un hadith rapporté par Al-Bukhari, il a dit :
« Ne vous moquez pas des autres car cela pourrait se retourner contre vous. » (Sahih Al-Bukhari)
Le Prophète incite à la modestie et à la bienveillance dans les relations humaines. En stigmatisant autrui, l’individu se prive de la miséricorde divine et compromet sa propre dignité.
Dans un autre hadith rapporté par Ibn Majah, le Prophète (PBUH) a dit :
« Celui qui stigmatisera son frère pour un péché qu’il a commis, Dieu ne le sauvera pas du péché qu’il commettra. » (Ibn Majah)
Ici, le Prophète met en garde contre le danger spirituel de la stigmatisation. Elle ne concerne pas seulement la personne stigmatisée mais aussi celui qui se permet de juger et d’humilier les autres.
Ibn Taymiyyah et l’Appel à la Justice Sociale
Ibn Taymiyyah, théologien et juriste islamique, aborde également la question de la dignité humaine dans ses écrits. Dans Majmūʿ al-Fatāwā, il déclare :
« La véritable dignité humaine réside dans la préservation de l’honneur et du respect de chaque individu, quel que soit son statut social. » (Majmūʿ al-Fatāwā, 35/16)
Ibn Taymiyyah rappelle que l’Islam est une religion de justice sociale, où aucune personne ne devrait être stigmatisée, car chacun est responsable devant Allah, et non devant les jugements humains. Il affirme également que la dignité humaine transcende toutes les distinctions mondaines, et que Dieu seul est le juge.
Ibn Hajar et la Bienveillance Sociale
Ibn Hajar, un érudit du XIVe siècle, met en lumière dans son commentaire du Sahih al-Bukhari que la stigmatisation va à l’encontre des enseignements du Prophète, qui a toujours encouragé la bienveillance et la préservation de l’honneur des autres. Il écrit :
« Le cœur pur est celui qui ne fait aucune différence entre les hommes, ne juge personne selon son apparence ou son statut social, et ne cherche pas à détruire la dignité des autres. » (Fath al-Bari, 10/230)
Ibn Hajar met en lumière la responsabilité morale de chacun, soulignant que ceux qui stigmatisent autrui, même pour une faute apparente, se rendent coupables de nuire à la communauté.
L’enseignement des Marabouts Sénégalais
Les marabouts sénégalais, figures spirituelles des confréries soufies, sont eux aussi des défenseurs de l’unité et de la dignité humaine. Cheikh Ahmadou Bamba, figure centrale de la confrérie Mouride, a enseigné que la stigmatisation est une forme d’injustice qui prive l’individu de sa véritable humanité. Dans ses écrits, il affirme :
« Celui qui stigmatise son frère pour son péché est lui-même fautif aux yeux de Dieu, car celui qui pardonne obtient la miséricorde divine. » (Extrait des écrits de Cheikh Ahmadou Bamba)
Cela montre que l’esprit de miséricorde et de pardon est essentiel dans la lutte contre la stigmatisation. Cheikh Ahmadou Bamba a toujours mis l’accent sur la purification du cœur et l’amour pour le prochain comme remède contre les divisions et la stigmatisation.
L’approche Contemporaine : Des Savants Modernes et la Stigmatisation
Les érudits contemporains, tels que le cheikh Saleh al-Fawzan et le cheikh al-Uthaymeen, ont également souligné que la stigmatisation va à l’encontre des valeurs islamiques de solidarité et de respect mutuel. Le cheikh al-Fawzan, dans ses conférences sur la morale islamique, explique :
« L’Islam nous enseigne à traiter chaque individu avec dignité, indépendamment de ses erreurs passées. La stigmatisation est contraire à l’esprit d’unité et d’égalité dans la communauté musulmane. » (Fatawa al-Fawzan)
Le cheikh al-Uthaymeen, dans ses commentaires sur les principes du fiqh, rappelle que le fait de juger et de stigmatiser les autres nous prive de la miséricorde de Dieu et nuit à l’harmonie sociale. Dans son livre “Sharh al-‘Aqeedah al-Waasitiyyah”, il déclare :
« Celui qui stigmatise un autre en raison de ses péchés oublie que lui-même est imparfait et qu’il a besoin de la miséricorde divine autant que celui qu’il critique. » (Sharh al-‘Aqeedah al-Waasitiyyah)
Le cheikh al-‘Uthaymeen poursuit :
« Nous devons toujours nous rappeler que la stigmatisation des autres n’est pas un signe de vertu, mais plutôt une manifestation d’orgueil et de manque de compassion. » (Fatawa al-‘Uthaymeen)
L’Approche de la Psychologie et des Sciences Sociales
La stigmatisation n’est pas seulement un phénomène social mais aussi psychologique. Des chercheurs contemporains, comme Erving Goffman, auteur du livre “Stigma: Notes on the Management of Spoiled Identity”, ont exploré la manière dont la stigmatisation affecte l’identité des individus. Goffman note que la stigmatisation transforme non seulement la perception qu’un individu a de lui-même, mais aussi la manière dont il est perçu par les autres.
Il écrit :
« La stigmatisation, par son pouvoir d’altérer l’identité d’un individu, dégrade son statut social et le conduit souvent à l’isolement et à l’auto-dénigrement. » (Goffman, Stigma: Notes on the Management of Spoiled Identity)
Ce phénomène peut être observé dans de nombreuses sociétés où les différences externes comme la race, la classe sociale, ou les croyances religieuses mènent à des discriminations et à des inégalités sociales. Goffman ajoute :
« La stigmatisation est le produit de structures sociales inégales et de perceptions culturelles biaisées qui accentuent les faiblesses des individus plutôt que de reconnaître leurs qualités et potentiels. » (Goffman, Stigma: Notes on the Management of Spoiled Identity)
La stigmatisation est non seulement une injustice sociale, mais aussi une offense spirituelle dans l’Islam. Les enseignements du Coran, des hadiths du Prophète, ainsi que des érudits classiques et contemporains, nous montrent que l’Islam condamne fermement toute forme de dévalorisation ou de marginalisation des individus. Le message central est celui de la dignité humaine, qui doit être préservée en toute circonstance, indépendamment des différences extérieures. Dans un monde où la stigmatisation reste présente sous diverses formes, les musulmans sont appelés à incarner les principes de justice, de miséricorde et de respect, en traitant chaque individu avec l’humanité et l’honneur qu’il mérite, conformément aux préceptes divins. Comme le souligne le cheikh al-Fawzan :
« La dignité humaine est un don divin, et il nous incombe de la protéger, car chaque être humain mérite d’être traité avec respect et équité. » (Fatawa al-Fawzan)
Imam chroniqueur Babacar DIOP
