Mali : quand l’ombre des grandes puissances plane sur un pays en crise

Par Imam Babacar Diop, chroniqueur
L’alerte du département d’État américain, invitant les citoyens américains à « quitter immédiatement le Mali », a ravivé les inquiétudes sur la stabilité de ce pays sahélien en proie à des tensions multiples. Depuis plus d’une décennie, le Mali vit au rythme d’une crise sécuritaire, politique et économique, devenue aujourd’hui un enjeu géopolitique majeur.
Une alerte qui en dit long
Dans son communiqué, Washington évoque « le conflit armé en cours entre le gouvernement malien et les éléments terroristes autour de Bamako », ainsi que la pénurie de carburant et la fermeture des écoles et universités. Ce langage diplomatique codé traduit une perte de confiance dans la capacité des autorités maliennes à maîtriser la situation.
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Pour l’analyste politique sénégalais Alioune Tine, fondateur d’Afrikajom Center, « le Mali est aujourd’hui l’un des épicentres de la recomposition stratégique du Sahel, où s’affrontent par procuration les puissances mondiales » (Le Sahel face aux dérives sécuritaires, Dakar, 2023, p. 118).
Le poids des choix stratégiques
Depuis le départ des forces françaises en 2022 et le rapprochement spectaculaire de Bamako avec la Russie, la junte malienne a voulu s’affirmer comme symbole d’une souveraineté retrouvée. Mais cette stratégie s’est accompagnée d’un isolement diplomatique et d’un effritement économique.
Le politologue camerounais Achille Mbembe notait déjà que « l’Afrique paie souvent le prix d’une indépendance sans infrastructures ni alliances solides » (Sortir de la grande nuit, La Découverte, 2010, p. 211). Le Mali illustre cette tragédie moderne : vouloir rompre avec l’Occident sans disposer de relais efficaces ailleurs.
Une économie au bord de l’asphyxie
La paralysie des routes commerciales vers la Côte d’Ivoire et le Sénégal, due aux attaques du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM), plonge le pays dans une rare pénurie de carburant. Selon les estimations de la Banque mondiale (rapport 2024), le PIB malien a chuté de près de 3 % depuis le début du blocus logistique, accentuant la pauvreté urbaine.
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Les autorités ont tenté d’encadrer la vente de carburant pour limiter son détournement vers les groupes djihadistes, mais cette mesure s’est retournée contre l’économie. L’armée, débordée, peine à sécuriser les axes routiers.
Le spectre de l’encerclement
Les services de renseignement régionaux évoquent une tactique nouvelle du JNIM : isoler Bamako avant d’imposer ses propres règles, comme le port du voile pour les femmes ou la séparation dans les transports urbains. Ce durcissement idéologique montre que la menace n’est plus périphérique, mais gagne le cœur du pays.
Pour Rida Lyammouri, chercheur au Policy Center for the New South, « le retrait des partenaires occidentaux a créé un vide que les groupes armés remplissent avec leur propre ordre moral et territorial » (Sahel Security Briefs, 2024).
Une responsabilité partagée
La crise malienne n’est pas seulement militaire : elle est aussi le fruit de la désunion africaine. Les voisins observent sans agir, divisés entre prudence diplomatique et rivalités économiques. Pourtant, comme le rappelle Ibrahim Mayaki, ancien Premier ministre nigérien et expert du développement africain, « aucune nation sahélienne ne peut vaincre seule des menaces qui transcendent les frontières » (Réinventer le Sahel, Odile Jacob, 2022, p. 146).
En tant qu’imam chroniqueur, je vois dans cette situation une leçon amère : lorsqu’un peuple perd le sens du collectif et du dialogue, il devient vulnérable aux forces de la division. Le Mali, jadis centre de savoir et de tolérance, doit retrouver cette âme intellectuelle et spirituelle qui a fait la grandeur de Tombouctou.
Pour une refondation africaine de la sécurité
L’urgence dépasse Bamako : elle concerne tout le Sahel. L’Afrique doit inventer son propre modèle de sécurité, fondé sur la coopération, la transparence et la formation. La dépendance stratégique — qu’elle soit française, russe ou américaine — ne peut produire qu’une souveraineté d’apparat.
Le journaliste burkinabè Newton Ahmed Barry le résume ainsi : « Nos États sont libres sur le papier, mais enchaînés dans leurs stratégies » (Chroniques sahéliennes, Ouagadougou, 2024, p. 59).
Conclusion de l’imam chroniqueur
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En vérité, cette crise révèle moins un affrontement entre l’Occident et la Russie qu’une crise de vision africaine. Tant que les peuples du Sahel n’auront pas réconcilié sécurité, justice et dignité, aucun modèle importé ne les sauvera.
Le Mali, cœur battant du Sahel, ne doit pas être un champ de manœuvre pour puissances étrangères, mais un laboratoire de résilience africaine. Comme le disait Amadou Hampâté Bâ : « L’Afrique n’a pas besoin qu’on parle pour elle ; elle a besoin de retrouver sa voix. »
imam chroniqueur
Babacar Diop













