Mariage islamique : pourquoi les mariés doivent être présents à leur propre union

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Par Imam chroniqueur Babacar Diop

En ce temps d’été, les unions conjugales se multiplient dans les quartiers de Dakar, Thiès, Saint-Louis ou Ziguinchor. Noces festives, mosquées décorées, sermons vibrants… mais bien souvent, les principaux concernés – les futurs époux – brillent par leur absence au moment de la conclusion du contrat religieux. Cette pratique, aujourd’hui fréquente dans certains contextes sénégalais, mérite d’être revisitée, tant à la lumière du droit islamique que des défis modernes du mariage.

Mariage islamique : pourquoi les mariés doivent être présents à leur propre union

Consentement : le fondement négligé

En Islam, le mariage (nikah) est un contrat sacré, basé sur le consentement mutuel et éclairé des deux parties. Le Prophète Muhammad (paix et salut sur lui) a dit :

« Une femme ne doit pas être donnée en mariage sans son consentement, et une vierge ne doit pas être mariée sans qu’on ait obtenu son accord. »
(Rapporté par al-Bukhari, hadith n°5136).

Ce hadith est sans équivoque. Le respect du consentement de la femme – tout comme celui de l’homme – n’est pas une recommandation, mais une condition juridique incontournable (shart sihha). Pourtant, dans beaucoup de cas observés sur le terrain, notamment dans la banlieue de Pikine ou dans certaines zones rurales, le mariage est conclu en l’absence des futurs conjoints, notamment de la femme. Cette absence compromet gravement la validité juridique du contrat, et peut engendrer des tensions à moyen terme.

Comme le souligne Cheikh Mohamed el-Moctar Chinguitty, juriste mauritanien contemporain :

« L’absence du ou des futurs époux à leur mariage, sans procuration valide, est une lacune qui ouvre la porte à l’arbitraire, à la contrainte et à l’ignorance de la responsabilité conjugale. »
(Conférence de Nouakchott sur la famille musulmane, 2021.)

La présence physique : pour éviter les malentendus

L’un des risques les plus fréquents, dans les mariages sans convocation des époux, est la dissimulation d’informations essentielles : grossesse en cours, polygamie non déclarée, incompatibilité de santé ou absence de maturité mentale. Des cas récents, documentés par des ONG de médiation familiale comme Enda Graf Sahel (Rapport 2024, p. 17), montrent que des unions célébrées à l’insu des mariés ont conduit à des séparations précoces, à des conflits violents entre familles et à des traumatismes psychologiques pour les épouses.

Le Coran insiste sur la clarté et la transparence dans les contrats :

« Ô les croyants ! Ne vous appropriez pas les biens des autres illégalement, sauf si c’est par un commerce fondé sur l’agrément mutuel. »
(Sourate An-Nisa, v. 29).

Cette règle, qui vaut pour les biens, vaut a fortiori pour un contrat aussi important que le mariage. Le mariage n’est pas un accord entre familles, mais d’abord entre deux êtres humains adultes, responsables et consentants.

Quand l’imam sort du cadre : la question de la virilité

Lors d’un récent sermon dans une mosquée des Parcelles Assainies, un imam a évoqué – en plaisantant – la « virilité » du mari comme condition implicite de validité du mariage. Cette déclaration, bien qu’accueillie par des rires, pose un problème. Si le droit islamique reconnaît la possibilité pour une épouse de demander la dissolution du mariage en cas d’impuissance chronique avérée du mari (voir Al-Mughni d’Ibn Qudamah, vol. 7, p. 192), cette question relève de l’intimité et ne saurait être étalée ni érigée en condition publique. Le cheikh égyptien Ahmed al-Tayyeb, recteur d’Al-Azhar, rappelle :

« Les jugements de validité se fondent sur des éléments clairs, non sur des suspicions, ni des critères de performance. »
(Allocution sur la réforme du mariage, Forum du Caire 2023.)

Cette légèreté dans les sermons n’est pas sans conséquences. Elle peut renforcer les stéréotypes toxiques sur la sexualité masculine et mettre en péril la dignité des personnes concernées. Elle détourne aussi l’attention des vraies priorités : le respect mutuel, la bonne cohabitation, la spiritualité conjugale.

Dot, témoins, tuteur : les piliers oubliés

Le mahr, ou dot, reste un symbole d’engagement. Trop souvent relégué à une formalité, il est parfois versé à la hâte, ou même négligé. Pourtant, il est une obligation coranique :

« Et donnez aux épouses leur mahr, de bon cœur. »
(Sourate An-Nisa, v. 4).

Le wali (tuteur légal), qui représente l’intérêt de la femme, ainsi que les deux témoins adultes musulmans, sont également essentiels. Mais leur présence ne doit pas se substituer à celle des futurs conjoints. Comme le rappelle le professeur Abdallah Bayo, spécialiste sénégalais du droit musulman à l’Université Cheikh Anta Diop :

« Le wali est une voix, mais pas la voix. La femme doit s’exprimer elle-même sur son engagement. C’est un droit religieux, moral et juridique. »
(Cours de droit musulman, Dakar, 2024.)

Un appel à la réforme des pratiques locales

Dans nos sociétés en mutation, le mariage reste une institution centrale. Mais il doit être revu dans ses modalités pratiques pour rester fidèle à l’esprit de l’islam. Convoquer les mariés n’est pas une option ; c’est un devoir.

Comme l’a écrit Ibn al-Qayyim :

« La Shari‘a repose sur la justice, la miséricorde, la sagesse. Toute règle qui contredit cela n’en est pas une. »
(I’lam al-Muwaqqi’in, vol. 3, p. 3)

Nous devons veiller à ce que le mariage islamique ne soit pas une coquille vide où seuls les habits, les plats et les discours sont soignés, mais où l’essence – l’engagement sincère des époux – est absente.

Le mariage est une lumière (nour), pas un spectacle. Convoquer les mariés, c’est convoquer leur foi, leur parole, leur responsabilité. Et c’est protéger la société contre les unions précipitées, injustes ou mensongères.

Imam chroniqueur Babacar Diop

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