Quand la mendicité se met au numérique : les talibés de Dakar à l’ère du QR Code

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Dans les rues animées de Dakar, un nouveau phénomène interpelle les passants comme les autorités : des enfants talibés tendent la main pour recevoir l’aumône… mais avec un QR code. Une scène étonnante devenue virale sur les réseaux sociaux a mis en lumière cette pratique inédite : un jeune garçon, assis sur un trottoir, tenant un pot de mendicité sur lequel est scotché un code de paiement Wave. Ce simple geste témoigne d’un tournant sociétal dans un Sénégal en pleine mutation numérique.

Quand la mendicité se met au numérique : les talibés de Dakar à l’ère du QR Code

Une mendicité 2.0 au cœur de la capitale

Vendredi matin, veille de prière, en plein centre-ville de Dakar, à deux pas de la station-service de Sandaga, quelques jeunes garçons en guenilles, sandales usées aux pieds, interpellent discrètement les passants. À première vue, rien ne les distingue des milliers d’enfants talibés visibles chaque jour dans la capitale. Mais à y regarder de plus près, certains sortent leur smartphone lorsque la réponse à leur demande est : « Je n’ai pas de monnaie. »

Diallo, 16 ans, est l’un d’eux. Arrivé à Dakar depuis la Gambie à l’âge de 9 ans pour intégrer un daara à Ben Barack, il est désormais pleinement intégré à la vie de la rue. Avec son téléphone noir, il dégaine fièrement son QR code : « Si la personne veut vraiment donner mais n’a pas de monnaie, je lui montre mon code Wave. » Chaque jour, il doit reverser 550 FCfa à son maître coranique, une somme qui double les jours de prière. Grâce à ses économies, il a acheté son téléphone à 20.000 FCfa et parvient à épargner jusqu’à 11.000 FCfa par mois.

Une adaptation à l’économie mobile

L’usage du mobile money s’est largement répandu au Sénégal, porté par des plateformes comme Wave et Orange Money. Le phénomène touche désormais des couches insoupçonnées de la population, y compris les plus précaires. « Je reçois souvent l’aumône via Wave. J’ai téléchargé l’application depuis la Korité », raconte Ousmane, 12 ans, à la démarche hésitante et au regard grave. Il montre fièrement les 2.000 FCfa qu’il a déjà récoltés en ce début d’après-midi.

Originaire de la banlieue, il traverse chaque jour la ville pour mendier au centre. Ce vendredi-là, il a cependant oublié son téléphone – un handicap dans ce contexte où l’économie informelle se digitalise rapidement.

Un outil de survie, un symbole de rupture

Aliou, lui aussi âgé de 12 ans, est venu de Dara Djoloff pour étudier dans un daara à Pikine. Sa mère lui a offert un téléphone pour maintenir le lien familial, mais ce dernier sert également à recueillir l’aumône. « Je l’utilise pour appeler ma mère, mais aussi pour recevoir l’argent des gens. » Son téléphone, il le cache soigneusement au marabout. Vendredi, à midi à peine, il a déjà atteint la somme exigée par ce dernier, ce qui lui permet de vivre une fin de journée un peu plus paisible.

Ces scènes reflètent une réalité saisissante : dans une société de plus en plus connectée, même les pratiques les plus marginales comme la mendicité n’échappent pas à la modernisation. Les jeunes talibés, souvent instrumentalisés, s’adaptent eux aussi aux outils numériques pour survivre. Face à cette évolution, les questions éthiques et sociales ne manquent pas : jusqu’où ira la numérisation ? Que dit-elle de notre rapport à la précarité et à l’enfance ?

Une interpellation nationale

Le phénomène n’est pas resté anodin. Il a provoqué une onde de choc jusqu’aux plus hautes sphères de l’État. Lors d’une randonnée pédestre organisée pour les enfants, le Premier ministre Ousmane Sonko s’est exprimé sur cette « professionnalisation de la mendicité », qu’il juge « inacceptable ». Pour le chef du gouvernement, il s’agit de mettre fin aux abus dont sont victimes les enfants talibés.

Si le digital offre des solutions d’accessibilité, il ne doit pas masquer les carences systémiques en matière de protection de l’enfance. Les QR codes ne devraient pas être l’arbre qui cache la forêt de l’exploitation. Car derrière chaque téléphone tendu, chaque transfert reçu, se cache une réalité plus sombre : celle d’enfants livrés à eux-mêmes, déracinés, et souvent privés de leurs droits fondamentaux.

Un futur incertain

Alors que le Sénégal entre de plein pied dans l’ère numérique, ces enfants incarnent malgré eux les contradictions d’une société en transition. À la croisée des chemins entre tradition religieuse, pauvreté structurelle et technologies de pointe, ils rappellent que l’innovation, aussi pratique soit-elle, ne doit jamais faire oublier l’essentiel : la dignité et l’avenir de chaque enfant.

Imam chroniqueur Babacar Diop

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