Repenser le métier d’enseignant à l’ère du numérique : quand la recherche guide l’éducation

Un séminaire international réunit à Dakar chercheurs, décideurs et experts de 26 pays africains francophones pour redéfinir le rôle et la formation de l’enseignant dans un monde en mutation rapide. Entre innovations numériques et valeurs spirituelles, la réflexion s’élargit sur la vocation du maître.
Un rendez-vous scientifique et institutionnel majeur
Depuis mardi, Dakar accueille un séminaire international sur le métier d’enseignant, organisé par l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF), en partenariat avec l’Agence française de développement (AFD) et le ministère sénégalais de l’Éducation nationale, dans le cadre du programme Apprendre.
La cérémonie d’ouverture, présidée par Papa Malick Ndao, secrétaire général du ministère, a marqué le ton :
« Les politiques éducatives ne peuvent plus se fonder sur l’intuition, mais sur des données probantes et des évaluations rigoureuses », a-t-il insisté.
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Le programme Apprendre, lancé en 2018, a déjà permis au Sénégal d’élaborer plusieurs documents structurants relatifs à la formation initiale des maîtres et à l’évolution de la fonction d’inspection.
La phase III (2026-2027), actuellement en préparation, symbolise la continuité d’une coopération fructueuse entre recherche et gouvernance éducative.
Le défi de la formation et de la motivation des enseignants
Face aux mutations économiques et technologiques, les participants ont souligné la nécessité de repenser la formation et la motivation des enseignants.
Pour Ouiddad Tebba, directrice régionale de l’AUF, la clé réside dans « la mobilisation du savoir, du numérique et des savoirs locaux pour un continuum éducatif cohérent ».
Elle rappelle que Apprendre « relie l’enseignement supérieur, la recherche et les politiques publiques », créant une passerelle entre la théorie académique et la pratique quotidienne.
Le philosophe John Dewey le soulignait déjà :
« Si nous enseignons aujourd’hui comme nous avons enseigné hier, nous volons à nos enfants leur avenir. »
(Democracy and Education, 1916, p. 167)
Une coopération francophone féconde
Julie Maline, représentante de l’AFD, a salué la portée du programme qui « se distingue par sa conception collaborative et sa capacité à s’adapter aux priorités nationales ».
Elle rappelle qu’à ce jour, Apprendre a permis de former plus d’un million d’enseignants avec le soutien de 67 000 encadreurs pédagogiques, dans les domaines de la formation initiale, de la formation continue, et de l’intégration du numérique.
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Pour Sabine Lopez, chargée de projets à l’AUF, « il s’agit de construire des solutions concrètes et contextualisées pour renforcer l’attractivité du métier d’enseignant et accompagner les transitions éducatives ».
Ces transitions sont à la fois numériques, climatiques et culturelles, ce qui appelle à une pédagogie souple et enracinée dans les réalités locales.
Quand la tradition éclaire la modernité éducative
Le séminaire a aussi été l’occasion de rappeler que la mission de l’enseignant ne saurait être réduite à la seule transmission du savoir.
Dans la tradition islamique, le Prophète Muhammad ﷺ enseigne :
« Les savants sont les héritiers des prophètes. »
(Rapporté par Abû Dâwûd, hadith n°3641)
Et le Coran ajoute :
« Dieu élève en degrés ceux d’entre vous qui ont cru et ceux qui ont reçu le savoir. »
(Sourate 58, Al-Mujadilah, verset 11)
Une vision partagée par Serigne Ahmadou Bamba Mbacké, qui affirmait :
« L’enseignant est un jardinier des âmes, et chaque élève est une graine à faire éclore par la lumière du savoir. »
(Massālik al-Jinān, éd. Dar al-Kutub, 1907, p. 42)
De son côté, Cheikh El Hadji Malick Sy exhortait déjà les maîtres à enseigner « pour servir l’esprit, non pour dominer les consciences » (Khassaïdes éducatifs, manuscrit n°12, Tivaouane, 1914*).
Cette sagesse rejoint celle d’Ibn Taymiyya, pour qui :
« Le savoir qui ne réchauffe pas le cœur n’est pas bénéfique. »
(Majmû‘ al-Fatâwâ, vol. 10, p. 34)
La pédagogie comme science et comme éthique
L’éducateur suisse Philippe Perrenoud rappelle que :
« On ne naît pas enseignant, on le devient à travers la pratique réfléchie, nourrie de science et de partage. »
(La construction des compétences, ESF, 1999, p. 83)
De même, Ibn al-Qayyim al-Jawziyya mettait déjà en garde :
« Le savoir sans éthique est une lumière sans chaleur ; il éclaire sans élever. »
(Miftāh Dār al-Sa‘āda, vol. 1, p. 298)
Ainsi, la recherche contemporaine et la spiritualité convergent sur un point : former un enseignant, c’est former un esprit et une conscience.
Revaloriser la fonction enseignante, une urgence morale
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Au-delà des innovations et des chiffres, la question du statut social et moral de l’enseignant demeure centrale.
Le sociologue François Dubet rappelle à juste titre :
« Une école ne vaut que par la confiance que la société accorde à ses maîtres. »
(Le Déclin de l’institution, Seuil, 2002, p. 119)
C’est cette confiance que le Sénégal et ses partenaires veulent restaurer à travers Apprendre.
Un projet qui, selon Papa Malick Ndao, incarne « la vitalité d’une coopération féconde entre la recherche scientifique et la gestion des systèmes éducatifs ».
En définitive, ce séminaire n’aura pas seulement réuni des experts : il aura ravivé une conviction profonde — enseigner, c’est élever les âmes autant que les intelligences.
Imam chroniqueur
Babacar Diop













