
Voyager par avion sur le continent africain relève souvent d’une épreuve bien plus rude que le simple franchissement d’un espace aérien. Derrière le glamour des brochures, des spots publicitaires bien huilés et des sourires savamment maîtrisés du personnel de bord, se cache une réalité criante : le transport aérien africain est en crise structurelle.
À l’exception de quelques compagnies relativement stables comme Ethiopian Airlines ou Royal Air Maroc, la majorité des transporteurs du continent opèrent dans une opacité préoccupante, oscillant entre retards chroniques, annulations impromptues et désorganisation généralisée.
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« Il ne suffit pas d’avoir une flotte peinte aux couleurs nationales pour parler de souveraineté aérienne. Encore faut-il être capable de respecter le client, d’assurer des vols fiables et sûrs, » souligne Dr. Youssouf Ag Ibrahim, expert malien en transport aérien et ancien conseiller à l’IATA.
Une gestion au radar : cas d’Air Côte d’Ivoire
Les déboires vécus par de nombreux journalistes invités aux Assemblées annuelles de la Banque africaine de développement en sont une illustration récente. Vols annulés sans préavis, retards de plus de 36 heures, passagers laissés dans l’ignorance la plus totale : la compagnie Air Côte d’Ivoire s’est tristement distinguée par sa désorganisation.
« Il y a une sorte d’impunité institutionnelle chez certains transporteurs africains. Ils savent que les plaintes des clients ne vont jamais vraiment aboutir, faute de régulations efficaces », affirme Fatou Diagne, juriste sénégalaise spécialisée en droits des consommateurs.
Les témoignages abondent sur les réseaux sociaux : voyageurs bloqués toute une journée sans assistance, perte régulière de bagages, ou encore avions transportant les valises d’autres vols depuis plusieurs jours.
Le piège du patriotisme économique mal compris
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Depuis l’éclatement d’Air Afrique, chaque pays a tenté de bâtir sa propre compagnie nationale. Un réflexe de prestige plus qu’un projet réfléchi. Résultat : une prolifération de compagnies déficitaires, parfois endettées jusqu’au cou, fonctionnant avec des avions vétustes et souvent interdits de survol dans l’espace aérien européen.
« La multiplication des petites compagnies nationales sans viabilité commerciale, c’est comme construire des aéroports sans avions », dénonce Marc Gnamet, consultant béninois en aviation civile. « Il faut mutualiser les ressources, encourager les hubs régionaux solides, et professionnaliser la gestion. »
Le contraste est d’autant plus criant quand on compare avec des compagnies low-cost européennes, qui malgré des tarifs plus bas, offrent un service souvent plus fiable et ponctuel.
Un client sans recours, un ciel sans régulation
Au-delà des problèmes techniques et logistiques, c’est la relation client qui souffre le plus. L’absence de communication, l’impossibilité de joindre les services après-vente, et le mépris des passagers en détresse ne sont plus l’exception mais la norme.
« Sans une autorité forte pour réguler le secteur et protéger les droits des passagers, nous continuerons à assister à une forme d’aviation à deux vitesses, où le client africain est considéré comme un citoyen de seconde zone », déclare Cheikhna Ould Mohamed, président de l’Association pour la défense des usagers des transports en Afrique de l’Ouest.
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Repenser le modèle : vers un ciel plus coopératif
Face à cette situation, des voix s’élèvent pour réclamer une réforme en profondeur du ciel africain. Cela passe par la mutualisation régionale des efforts, le renforcement des normes de sécurité, la transparence financière, et l’harmonisation des politiques tarifaires.
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« Un ciel africain unifié, comme le prévoyait le projet de Marché Unique du Transport Aérien en Afrique (MUTAA), est non seulement souhaitable, il est urgent. L’intégration régionale est la clé de la viabilité du secteur », insiste Ngozi Okonjo-Iweala, directrice générale de l’OMC, dans un forum récent sur les infrastructures africaines.
Au terme d’un vol chaotique, après des heures d’attente sans explication, des repas absents ou périmés, et parfois des bagages introuvables, une voix douce vous susurre : « Nous espérons que vous avez passé un agréable moment à bord. » Une ironie cruelle, pour des passagers épuisés.
L’Afrique ne peut prétendre à l’émergence sans prendre son ciel au sérieux. Car dans les airs comme sur terre, le respect du citoyen et la rigueur de gestion doivent primer sur l’orgueil des drapeaux.
Imam chroniqueur Babacar Diop