
Depuis la crise mondiale provoquée par la pandémie de Covid-19, les pays membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) ont érigé la souveraineté alimentaire en priorité stratégique. Toutefois, cet objectif demeure, à ce jour, largement hors d’atteinte. En 2025 encore, près de 3 000 milliards de francs CFA sont engloutis chaque année dans des importations alimentaires de base telles que le riz, le lait, la viande ou le blé. Un paradoxe inquiétant pour une région dotée de ressources naturelles abondantes, mais prisonnière d’une dépendance structurelle persistante.
Une balance alimentaire déficitaire
Selon Amadou Mbodj, directeur de l’Agriculture à la Commission de l’UEMOA, la région continue d’importer plus de la moitié de son riz et près de 90 % de son blé, deux produits devenus emblématiques de cette vulnérabilité. Sur les huit pays membres, seuls le Bénin et le Niger montrent des signes d’amélioration notables dans leur politique de production locale.
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Les conséquences de cette dépendance sont multiples : déficits budgétaires récurrents, insécurité alimentaire accrue, pression sur les devises, et une fragilisation du tissu rural déjà en tension.
Des verrous structurels persistants
Pour le Pr Oscar Teka, spécialiste des politiques agricoles régionales, la cause principale de cette impasse réside dans une accumulation de contraintes structurelles. Il cite notamment :
une difficulté d’accès au foncier,
un financement agricole inadapté et souvent absent,
une mécanisation quasi inexistante,
la mauvaise qualité des intrants,
ainsi qu’un calendrier agricole mal adapté aux réalités climatiques.
« Le système est conçu pour échouer, sauf si on le réforme en profondeur », affirme-t-il. Et pourtant, les projections démographiques annoncent une population de près de 800 millions de personnes à nourrir d’ici 2050 dans la région ouest-africaine.
Climat : menace ou opportunité ?
Le climat est souvent perçu comme une menace majeure pour l’agriculture sahélienne. Mais certains experts appellent à un changement de paradigme. Le Dr Issoufou Baoua, agroclimatologue, estime que les années à venir pourraient enregistrer des précipitations supérieures à la moyenne, ce qui, selon lui, représente « une aubaine à condition d’investir dans des infrastructures agricoles résilientes et des variétés adaptées. »
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Un appel à des politiques agricoles inclusives
Les critiques fusent contre des politiques agricoles jugées élitistes et déconnectées des besoins des producteurs locaux. Mamadou Cissokho, président d’honneur du Réseau des organisations paysannes et de producteurs de l’Afrique de l’Ouest (ROPPA), plaide pour une concertation territoriale renforcée, une décentralisation des innovations, et surtout un accès facilité au crédit agricole à taux réduit.
« On ne peut pas construire la souveraineté alimentaire sans les paysans », martèle-t-il, dénonçant une vision technocratique « où l’agriculture est pensée depuis les bureaux et non depuis les champs. »
Des solutions techniques… mais pas uniquement
Parmi les innovations envisagées, l’assurance agricole paramétrique, fondée sur des indices climatiques, commence à être expérimentée dans certains pays. Elle permettrait de mieux protéger les petits exploitants contre les aléas naturels (sécheresse, inondations), souvent catastrophiques.
Mais au-delà des outils techniques, c’est un changement profond de regard sur l’agriculture locale qui s’impose. Car au cœur de la souveraineté alimentaire, se trouve la reconnaissance de la place centrale des petits producteurs, de leur savoir-faire, et de la nécessité de valoriser les ressources endogènes.
Une souveraineté à reconquérir
Les défis sont immenses, mais pas insurmontables. Un engagement politique fort, des investissements structurants et une gouvernance inclusive sont les conditions sine qua non pour espérer une transformation durable du secteur.
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Comme l’a rappelé un participant lors du dernier panel de l’UEMOA à Lomé :
« On ne coiffe pas quelqu’un en son absence. »
Une métaphore qui résume, à elle seule, l’urgence de replacer les agriculteurs au cœur des décisions qui les concernent.
Imam chroniqueur Babacar Diop