Inondations : quand l’eau révèle nos manquements

Les inondations ne tombent pas du ciel par hasard. Elles sont souvent le miroir de nos erreurs collectives : urbanisation désordonnée, négligence des zones humides, politiques publiques à court souffle. L’étude publiée hier à Dakar par la Direction de la prévention et de la gestion des inondations (DPGI) met des chiffres sur un drame que vivent chaque année des milliers de Sénégalais : 187 milliards de FCfa seraient nécessaires pour sauver sept grandes localités du pays — Touba, Kaolack, Kaffrine, Tambacounda, Kédougou, et les communes du Lac Rose.
Une somme colossale, certes, mais combien coûte une vie ensevelie dans la boue ?
Quand la nature se venge du désordre humain
Les conclusions de l’étude, menée par le cabinet Sepia Conseils, pointent du doigt un mal connu : nos villes étouffent sous le poids d’une urbanisation anarchique. À Touba, où les travaux sont estimés à 93 milliards de FCfa, les eaux stagnantes deviennent chaque hivernage des symboles d’impuissance. Au Lac Rose, la situation est critique : lotissements sauvages, routes coupées, canalisations bouchées.
Les experts appellent à une « course contre la montre » pour sauver le site, jadis fleuron écologique, aujourd’hui menacé par l’avidité foncière.
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Comme le rappelait Ibn Khaldûn dans sa Muqaddima (chapitre V), « la désorganisation de l’espace est le premier signe de la décadence d’une société ». Ce qui est vrai pour les cités médiévales l’est tout autant pour nos villes modernes : la nature se rebelle toujours contre la démesure humaine.
La responsabilité morale de la gestion urbaine
Les inondations ne sont pas qu’un problème technique. Elles posent une question morale : que vaut notre développement si nos cités deviennent invivables à la première pluie ?
Le Coran nous met en garde :
« La corruption est apparue sur la terre et dans la mer à cause de ce que les mains des hommes ont acquis » (Sourate Ar-Rûm, verset 41).
Cette corruption ne se limite pas à l’éthique ; elle touche aussi notre rapport à la terre, aux eaux, et à la planification. Dans les propos du Prophète (paix sur lui), rapportés par Ibn Mâjah (Sunan Ibn Mâjah, Kitâb al-Ahkâm), il est dit :
« Celui qui cause du tort à son voisin ou à la communauté par son usage du sol, subira le blâme d’Allah et des hommes. »
Ainsi, urbaniser sans conscience, c’est blesser la terre et condamner ceux qui l’habitent.
Les chiffres de la douleur
Les dégâts sont éloquents : 36 milliards de FCfa de pertes à Touba, 6,9 milliards au Lac Rose, 2,6 milliards à Kaolack. Plus de 83 000 personnes touchées, des familles déplacées, des écoles inondées, des commerces ruinés.
Mais derrière ces chiffres se cachent des visages. Des enfants qui marchent pieds nus dans la boue pour aller à l’école. Des mères qui dorment debout, veillant à ce que leurs biens ne soient pas engloutis.
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Madické Cissé, directeur de la DPGI, voit cependant dans cette étude une lueur d’espoir : « Pour la première fois, les collectivités locales peuvent s’appuyer sur ces données pour aller chercher des financements auprès des partenaires », dit-il.
Oui, il existe des fonds verts, des mécanismes climatiques, des partenaires techniques. Mais il faut plus qu’un plan : il faut une volonté morale et politique.
Prévoir, c’est gouverner
Le philosophe Gaston Bachelard écrivait dans La formation de l’esprit scientifique (PUF, 1938, p. 42) :
« L’imprévoyance est une faute intellectuelle avant d’être un désastre matériel. »
Le Sénégal doit cesser de réagir à chaque saison des pluies comme si c’était la première. Gouverner, c’est anticiper ; prévoir, c’est protéger. Ce n’est pas l’eau qui est notre ennemie — c’est notre désordre.
Pour une écologie spirituelle
Cheikh Ahmadou Bamba disait :
« La terre est un dépôt confié par Dieu. Celui qui en use sans sagesse trahit le dépôt. »
La lutte contre les inondations n’est pas seulement une affaire d’ouvrages hydrauliques ; c’est un combat spirituel contre la négligence et la cupidité. Le vrai progrès ne se mesure pas à la hauteur des bâtiments, mais à la capacité d’un peuple à vivre en harmonie avec son environnement.
Conclusion : sortir la tête de l’eau, ensemble
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Les 187 milliards de FCfa nécessaires ne sont pas une dépense, mais une dette morale envers nos concitoyens sinistrés. Chaque franc investi dans le drainage est un acte de justice.
Et si nous ne le faisons pas, la pluie se chargera, saison après saison, de nous rappeler que la nature n’oublie jamais ce qu’on lui fait subir.
Imam chroniqueur
Babacar Diop













