Sous le voile des préjugés : les veuves et la violence invisible des accusations de sorcellerie

Par Imam chroniqueur Babacar DIOP
Dans le silence des villages sénégalais, des drames humains se jouent loin des tribunaux et des caméras. Ce sont les cris étouffés de femmes meurtries, souvent veuves, accusées à tort de sorcellerie. Des charlatans, se réclamant de dons spirituels ou d’un savoir occulte, s’érigent en juges du destin et désignent des coupables sans preuves, sur la base de rêves, de transes ou de coquillages jetés dans le sable.
Quand la foi est instrumentalisée
« Le danger, c’est que ces soi-disant voyants confondent spiritualité et superstition », explique le sociologue Pr Djiby Diakhaté, qui parle d’une « prison ouverte » dans laquelle ces femmes sont enfermées, rejetées par leur communauté, parfois même par leur propre famille.
Le Saint Coran condamne pourtant cette dérive de la suspicion :
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« Ô vous qui avez cru ! Évitez de trop conjecturer, car une partie des conjectures est péché » (Sourate Al-Houjourat, 49:12).
Accuser sans preuve, c’est s’ériger en Dieu sur terre, c’est rompre le pacte social. Comme le rappelle le Prophète ﷺ :
« Si quelqu’un accuse son frère d’être mécréant, l’un des deux portera cette accusation sur lui » (Sahih al-Bukhari, 6104).
Or, dans les campagnes, les « visions » de certains guérisseurs remplacent souvent les faits, et les rêves deviennent des verdicts. À Fatick, S.K., une veuve de 60 ans, vit ce cauchemar depuis deux ans. Accusée d’avoir rendu sa fille malade, elle confie :
« À mon passage, tout le monde me montre du doigt. On me traite de sorcière. »
Les cicatrices invisibles
Ces accusations, observe le psychiatre Dr Léopold Boissy (Centre hospitalier national psychiatrique de Thiaroye), provoquent un « choc psychique violent », souvent suivi de dépression, d’isolement, voire de suicide.
« Ces femmes développent un sentiment de trahison vis-à-vis de leurs proches et une honte sociale profonde », souligne-t-il.
Pour Ibn al-Qayyim (Madarij as-Salikin, vol. 3, p. 229), la calomnie est une arme plus destructrice que le fer :
« La langue du menteur coupe des liens plus solidement tissés que ceux que la main du meurtrier tranche. »
Les veuves ainsi accusées ne perdent pas seulement leur honneur : elles perdent leur appartenance. Comme l’explique le Pr Diakhaté, « la sorcellerie devient un stigmate social, une marque indélébile de marginalisation. »
Une blessure sociale et spirituelle
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Le phénomène traduit une crise plus profonde : celle de la foi et de la raison. L’Islam, comme la philosophie, invite pourtant à la lucidité.
« La superstition est la fille de la peur et de l’ignorance », écrivait Voltaire (Dictionnaire philosophique, article “Superstition”).
Dans le même esprit, Tariq Ramadan, dans L’Islam et le réveil arabe (p. 147), rappelle que :
« Le vrai défi de la foi n’est pas de voir des signes partout, mais d’apprendre à discerner le vrai du faux. »
Ces charlatans prospèrent sur les blessures d’une société où la veuve devient vite suspecte. En détournant la religion de son sens de miséricorde, ils aggravent la souffrance de celles que la vie a déjà privées de repères.
Paroles d’un imam chroniqueur
Comme le souligne Imam Babacar Diop :
« Accuser une veuve sans preuve, c’est crucifier deux fois la douleur. Le Coran nous enseigne la miséricorde, mais certains ont préféré la peur. La vraie guérison ne vient pas des coquillages, mais du cœur apaisé par la vérité. »
Il poursuit :
« Dans nos villages, la religion doit redevenir une lumière qui éclaire et non une torche qui brûle. Il faut que les imams, les chefs de village et les psychologues unissent leurs voix pour restaurer la dignité de ces femmes blessées. »
Restaurer la dignité : un devoir collectif
Le Dr Boissy plaide pour un accompagnement psychologique et communautaire :
« Il faut réhabiliter ces victimes, les aider à se reconstruire et à regagner confiance en elles. »
De son côté, le Pr Diakhaté appelle à une éducation populaire pour briser les croyances nocives :
« Tant qu’on associera le malheur à des visages féminins, la société demeurera injuste envers elle-même. »
Cette éducation doit s’appuyer sur les textes et la foi. Car, comme le rappelle Cheikh El Hadj Malick Sy dans ses Khassida,
« L’ignorance est la mère de la peur, et la peur engendre l’injustice. »
Vers une renaissance morale
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La lutte contre les accusations de sorcellerie ne saurait se limiter aux soins médicaux ou judiciaires. Elle exige une réforme morale. Le Prophète ﷺ disait :
« Le musulman est celui dont les autres musulmans sont à l’abri de sa langue et de sa main » (Sahih al-Bukhari, 10).
Ainsi, guérir la société de la rumeur, c’est la réconcilier avec sa propre humanité.
« Ce que nous devons combattre, conclut Imam Babacar Diop, ce n’est pas la sorcellerie, mais la peur de l’autre. Car c’est elle, la vraie magie noire de nos sociétés. »
Imam chroniqueur
Babacar Diop













