Dans Les larmes du père invisible, Frédéric Herman Tossoukpè signe un ouvrage rare et courageux. Rare, parce qu’il ose interroger une figure sociale trop souvent figée : celle du père. Courageux, parce qu’il s’aventure sur un terrain glissant celui de la douleur masculine sans jamais verser dans le ressentiment ni la posture victimaire. Ce livre est une main tendue, une lettre d’amour aux enfants privés de père, et aux pères privés de leurs enfants.

Longtemps, la figure paternelle a été associée à la force tranquille, à l’autorité muette, au devoir accompli sans effusion. Dans de nombreuses sociétés, y compris dans les cultures occidentales et africaines, les émotions du père ne sont ni attendues, ni valorisées. Pire : lorsqu’un homme se plaint d’être éloigné de ses enfants à la suite d’une séparation, d’une procédure judiciaire ou de conflits familiaux son chagrin est souvent perçu comme une faiblesse, voire une posture manipulatrice.
C’est ce non-dit que Tossoukpè affronte, avec une pudeur désarmante. Loin des pamphlets revanchards, Les larmes du père invisible se lit comme un chant discret, un journal de bord écrit dans la marge. Le récit épouse la forme d’une confession fragmentée : celle d’un homme dont l’amour pour ses enfants n’a pas cessé, même à distance, même sans réponse.
Mais ce livre ne se limite pas à l’intime. En donnant voix à ces « pères empêchés », l’auteur engage une réflexion plus large sur les mécanismes institutionnels, sociaux et idéologiques qui rendent certains hommes invisibles dans leur rôle parental. Il interroge, en filigrane, le fonctionnement des systèmes judiciaires, les représentations médiatiques de la paternité, mais aussi les attentes contradictoires imposées aux hommes : être présents, mais discrets ; aimants, mais stoïques.
Le sujet est délicat, car il ne s’agit pas de nier les violences ou les inégalités systémiques que subissent les femmes, ni de remettre en question les avancées des luttes féministes. Tossoukpè ne s’inscrit dans aucune guerre des sexes. Son propos, bien plus subtil, explore une zone grise : celle des hommes sincèrement blessés par une séparation qu’ils n’ont pas choisie, des pères réduits à des statuts de visiteurs sous surveillance.
Dans un monde saturé d’images, ce que l’on ne montre pas n’existe pas. Et les pères absents par contrainte qu’elle soit juridique, sociale ou émotionnelle peinent à trouver un espace d’expression légitime. Les émotions paternelles restent souvent confinées au secret, au non-dit, à la honte. Les larmes du père invisiblebvient combler ce vide. Et dans un style sobre, évocateur, parfois lyrique, Frédéric Herman Tossoukpè dessine les contours d’une autre paternité : sensible, engagée, résiliente.
La question de la paternité invisible n’est ni exclusivement africaine ni spécifiquement occidentale. Elle touche de multiples sociétés, avec des intensités différentes selon les cadres juridiques, les normes culturelles et les rapports de genre en vigueur. Ce livre s’inscrit donc dans un débat global sur la parentalité, les droits de l’enfant, et la nécessité de penser l’égalité sans exclusion.
En définitive, Les larmes du père invisible n’est pas un règlement de comptes, mais un appel à la nuance. Une invitation à regarder autrement ceux que l’on appelle encore trop vite « absents », sans toujours entendre ce que leur silence contient.
Parce que oui, un père, ça pleure aussi. Et il est temps, collectivement, de les écouter.