Médias étrangers en Afrique : la bataille silencieuse du récit africain

Alors que les rédactions étrangères multiplient leurs implantations sur le continent, les médias africains peinent encore à construire et à imposer leur propre récit. Entre diplomatie de l’information et compétition géopolitique, la souveraineté narrative africaine se joue désormais sur le terrain médiatique.
La présence des médias internationaux sur le continent africain n’a jamais été aussi forte. De Radio France internationale (RFI) à Al Jazeera, en passant par France 24, Russia Today (RT), TRT (Turquie) ou China Global Television Network (CGTN), tous rivalisent pour capter une audience africaine de plus en plus connectée. En octobre dernier, le groupe France Médias Monde a lancé une nouvelle plateforme numérique baptisée Zoa, présentée comme un média « 100 % digital » dédié à l’Afrique. Une initiative qui s’ajoute à un réseau déjà dense de correspondants et de rédactions locales.
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« Autrefois, les grands médias internationaux se contentaient d’un correspondant isolé. Aujourd’hui, ils disposent parfois de véritables rédactions nationales, avec plusieurs journalistes africains », observe Mor Amar, rédacteur en chef du quotidien EnQuête. Pour lui, cette transformation illustre « une dynamique d’expansion où la bataille du récit devient un instrument d’influence culturelle et politique ».
Une ruée stratégique sur le terrain de l’information
Cette « ruée médiatique » n’est pas neutre. Selon Birame Faye, coordonnateur régional médias à l’Institut Panos Afrique de l’Ouest (IPAO), elle s’inscrit dans « une logique de puissance comparable à celle des anciennes rivalités coloniales ». « Les Anglais, les Chinois, les Russes, les Turcs, les Marocains, tout le monde est là », souligne-t-il. Et d’ajouter : « Ce n’est pas seulement une question d’information, mais une véritable guerre d’influence, assumée et bien financée ».
L’universitaire britannique Philip N. Howard, spécialiste de la géopolitique des médias (The Digital Origins of Dictatorship and Democracy, Oxford University Press, 2010), rappelait déjà que « le contrôle du récit est devenu une arme stratégique dans la diplomatie moderne ». L’Afrique, riche en ressources et en enjeux politiques, en est aujourd’hui l’un des théâtres majeurs.
L’absence d’une voix africaine forte
Face à cette effervescence, les médias africains apparaissent souvent en retrait. Mor Amar regrette cette invisibilité :
« La mission première des médias africains devrait être de donner la parole aux Africains pour raconter leur propre histoire. Or, ce sont encore les rédactions étrangères qui façonnent notre image à travers leurs filtres culturels. »
Même constat pour Birame Faye, qui estime que la faiblesse du secteur ne réside pas uniquement dans le manque de moyens, mais dans l’absence de vision. « Ce qui manque à nos médias, c’est une stratégie panafricaine de communication, un projet de récit collectif. »
Des expériences prometteuses ont pourtant existé. Panapress, Africa 24 ou encore Africa Numéro Un avaient incarné cet espoir d’une voix médiatique africaine unifiée. Mais ces projets se sont essoufflés faute de soutien politique durable. « La plupart dépendaient du charisme ou du financement ponctuel d’un dirigeant. Sans politique publique stable, ils ont disparu », rappelle M. Faye.
Vers une souveraineté narrative africaine
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L’enjeu aujourd’hui dépasse la simple production d’information. Il s’agit, comme le souligne le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne (Le fagot de ma mémoire, Albin Michel, 2021), « de reconquérir la parole, non seulement sur ce que nous sommes, mais sur ce que nous voulons devenir ».
Cette reconquête narrative passe par un investissement massif dans la formation des journalistes, l’indépendance éditoriale et la coopération régionale.
Mor Amar salue cependant quelques progrès : « Au Sénégal, malgré les contraintes, la presse reste l’une des plus libres d’Afrique de l’Ouest. Il faut consolider ces acquis, non les affaiblir ».
Birame Faye, lui, plaide pour une « diplomatie médiatique africaine » capable de rivaliser à l’ère numérique : « Si nous ne maîtrisons pas nos récits, d’autres continueront à raconter l’Afrique à notre place. »
Le chercheur camerounais Francis Nyamnjoh abonde dans le même sens :
« Les médias africains doivent assumer leur rôle d’acteurs sociaux et culturels, pas seulement de diffuseurs d’informations » (Africa’s Media: Democracy and the Politics of Belonging, Zed Books, 2005).
Conclusion : raconter l’Afrique depuis l’Afrique
Dans un monde globalisé où la bataille de l’opinion vaut autant que celle des marchés, la souveraineté narrative est un enjeu de puissance. Repenser les politiques publiques de communication, soutenir les médias panafricains et encourager la production locale de contenus apparaissent désormais comme des urgences stratégiques.
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Comme l’écrivait Cheikh Anta Diop dans Civilisation ou barbarie (Présence Africaine, 1981) :
« Tant que nous ne serons pas les auteurs de nos propres récits, nous demeurerons les personnages secondaires de l’histoire des autres. »
Imam chroniqueur
Babacar Diop













