Usurpation de fonctions au Sénégal : quand le faux devient une menace publique

Par Imam chroniqueur Babacar Diop
Introduction : la société du faux visage
Ils se font appeler « docteur », « commissaire », « juge » ou encore « marabout ». Derrière ces titres volés se cachent des individus sans foi ni loi, manipulant la crédulité d’un peuple encore attaché aux symboles d’autorité.
L’usurpation de fonctions n’est pas qu’un délit pénal — c’est une pathologie sociale révélatrice d’un malaise plus profond : la perte de la confiance et le culte des apparences.
Ces dernières années, les chroniques judiciaires sénégalaises se remplissent d’affaires impliquant de faux magistrats, de faux policiers ou de faux médecins, arrêtés après avoir extorqué des citoyens. En octobre 2025 encore, six individus ont été interpellés à Kaolack pour consultations médicales illégales et usage de faux certificats. Ces faits, qui auraient pu sembler anecdotiques, soulignent une crise morale et institutionnelle d’ampleur.
Le cadre légal : la loi face à la supercherie
À lire aussi : Kaolack : six faux médecins démantelés, la face cachée du trafic de médicaments contrefaits
Le Code pénal sénégalais encadre clairement cette infraction.
L’article 227 dispose :
« Sera puni d’un emprisonnement d’un an à cinq ans et d’une amende de 50 000 à 500 000 francs quiconque, sans droit, se sera immiscé dans les fonctions publiques civiles ou militaires, ou aura fait usage d’un titre attaché à une fonction publique ou à une profession réglementée. »
(Code pénal sénégalais, Livre III, Titre IV, Chapitre VII : Des usurpations de titres ou de fonctions).
De même, l’article 229 punit « le port illégal d’uniforme, d’insigne ou de décoration », reconnaissant ainsi que l’apparence fait partie du pouvoir symbolique.
Le juriste sénégalais Pr. Moustapha Ndiaye rappelle dans Droit pénal spécial au Sénégal (L’Harmattan, 2022, p. 317) :
« L’usurpation de fonction n’est pas seulement une atteinte à l’État, c’est une trahison du pacte social. Elle mine la légitimité de ceux qui exercent véritablement le pouvoir légal. »
Une réalité inquiétante : entre duplicité et désespoir
Les faits se multiplient.
En 2023, à Thiès, un individu s’était fait passer pour magistrat auprès de plusieurs familles, leur promettant d’intercéder dans des affaires judiciaires.
En 2024, à Mbour, un faux médecin a été arrêté après avoir administré de faux traitements à des patientes enceintes.
À lire aussi : Ukraine – États-Unis : Poutine hausse le ton et menace d’une riposte “écrasante”
En 2025, des faux policiers ont été démasqués à Dakar pour extorsion de commerçants étrangers.
Le sociologue Dr. Alioune Badara Cissé analyse ce phénomène dans Crise de confiance et symboles d’autorité en Afrique (Karthala, 2021, p. 205) :
« Dans des sociétés où l’autorité se mesure à la visibilité des symboles — uniforme, blouse, titre —, celui qui parvient à les imiter s’empare, même provisoirement, d’un pouvoir psychologique sur autrui. »
Ce pouvoir illégitime se nourrit de la fascination du public pour l’autorité visible, un trait que l’anthropologue sénégalaise Fatoumata Sow décrit comme « le syndrome du costume et du cachet » (Sociétés africaines et illusion d’État, CNRS Éditions, 2020, p. 132).
Une perspective religieuse : la trahison morale
Dans la tradition islamique, l’usurpation d’un rôle ou d’un savoir est un péché grave.
Le Prophète Muhammad ﷺ a dit :
« Celui qui se fait passer pour ce qu’il n’est pas, n’est pas des nôtres. »
(Hadith rapporté par al-Bukhari, n°6057).
L’imam Ibn al-Qayyim al-Jawziyya, dans Madarij al-Salikin (t. 2, p. 392), écrivait :
« La tromperie dans les œuvres et les statuts est la sœur du mensonge dans la parole. Les deux détruisent la confiance entre les hommes. »
Imam chroniqueur Babacar Diop commente :
« Usurper une fonction, c’est voler l’espérance d’une société. Quand on s’habille en juge sans l’être, on trahit la justice divine ; quand on se fait médecin sans science, on s’attaque à la vie qu’Allah a rendue sacrée. »
— Imam chroniqueur Babacar Diop
Causes profondes : la misère morale et la course au prestige
La prolifération des faux agents et faux diplômés s’explique aussi par une société obsédée par le statut.
L’enseignant-chercheur Dr. Souleymane Camara, dans Sénégal contemporain : l’éthique en crise (Presses Universitaires de Dakar, 2023, p. 89), note :
À lire aussi : « Les enfants face au miroir numérique : mensonge d’âge, vérité du danger »
« L’obsession du titre, plus que du savoir, a engendré une génération qui préfère paraître compétente plutôt qu’être utile. »
Ce constat rejoint la parole du philosophe Søren Kierkegaard :
« Le plus grand danger n’est pas le mensonge des autres, mais celui que nous nous faisons à nous-mêmes. » (Journal Intime, 1849).
Ainsi, l’usurpation de fonction devient l’expression d’un mal plus vaste : le besoin d’exister à tout prix dans une société hiérarchisée par les signes extérieurs du succès.
Les conséquences sociales : un poison lent
Chaque faux médecin, chaque faux policier, chaque faux juge laisse derrière lui une trace de peur et de méfiance.
Le politologue Dr. Abdoulaye Sarr avertit dans Gouvernance et légitimité au Sénégal (L’Harmattan, 2022, p. 191) :
« Quand les institutions se fragilisent par l’imitation frauduleuse, le citoyen ne sait plus à qui faire confiance. Le faux détruit la base même de l’État de droit. »
Cette méfiance se traduit par une érosion du civisme : les citoyens refusent d’obéir, doutent des contrôles routiers, se méfient des diagnostics médicaux — bref, le tissu social se délite.
Les réponses possibles : éducation, transparence et foi
- Numérisation des registres professionnels
Le Sénégal gagnerait à instaurer un registre national numérique des agents publics et des professions réglementées, consultable par SMS ou code QR. - Éducation civique et religieuse
Les sermons du vendredi, les émissions religieuses et les programmes scolaires devraient rappeler la gravité morale de la tromperie. - Application rigoureuse de la loi
Les articles 227 à 229 du Code pénal doivent être appliqués sans laxisme, même lorsque l’auteur est un proche de l’administration.
Imam chroniqueur Babacar Diop conclut :
« La meilleure manière de vaincre le faux, ce n’est pas seulement de punir, mais de réapprendre à être vrai. Le Sénégal doit redevenir une terre où la dignité ne s’achète pas avec un uniforme, mais se mérite par la droiture. »
— Imam chroniqueur Babacar Diop
Conclusion : restaurer la confiance publique
À lire aussi : Présidentielle en Côte d’Ivoire : à la veille du scrutin, le métro d’Abidjan entre espoirs et tensions
L’usurpation de fonctions n’est pas un simple délit — c’est un symptôme du délitement moral et administratif. Elle appelle à une réponse globale : juridique, sociale et spirituelle.
Tant que l’apparence primera sur la compétence, tant que l’uniforme primera sur la vertu, le faux continuera à s’asseoir là où la vérité devrait gouverner.
Mais la lumière finit toujours par démasquer les ombres. Et c’est à chacun, du citoyen à l’État, de tenir la lampe droite.
Imam chroniqueur
Babacar Diop













